Voilà juste un an, aujourd’hui, qu’Henri Lhéritier est mort. Peut-être serait-il temps de penser à honorer sa mémoire dans sa cité qu'il a aimée, et qui l'a toujours accompagné dans chacun de ses livres !
Rivesaltes, à travers le nom de ses rues, a rendu hommage à tellement de personnalités qui ignoraient jusqu’à son nom, qu’elle serait peut-être bien inspirée de pérenniser la mémoire de celui qui a tant écrit sur elle, comme sur l'art de la vigne et du vin dont il fut un ardent promoteur. -Toutes les bonnes plaques sont prises me répondra-t-on, et c’est vrai que je vois mal Henri, même sur sa bicyclette, aller avoisiner la rue des jonquilles, pétunias ou autres insignifiantes florettes dans quelque lotissement lointain du cœur de ville. Alors, pourquoi ne pas faire appel à la concitoyenneté de celui qui est plutôt sur-doté en la matière, je veux dire Joffre ! Il a déjà son musée, sa rue, ses allées, sa boucherie-charcuterie, oui, oui, sa plaque ecclésiale, et son collège… Vous croyez qu’il refuserait de laisser un de ses prestigieux emplacements pour assurer la reconnaissance publique à un compatriote qui l’a si amplement méritée, même si celui-ci n’a jamais combattu, mais avec quel élan, que le vertige de la page blanche. ? Certes, c'est vrai, Henri n’était pas particulièrement groupie de notre vieux maréchal de France, c’était même tout le contraire, mais avouez, et c’est là ma préférence, qu’après le lycée agricole Claude Simon, le collège Henri Lhéritier aurait fière allure.
Bon, comme il risque de passer beaucoup d'eau sous le pont de l'Agly avant que le Département, propriétaire des lieux, n'accède à ma requête, autant nous replonger quelques temps en arrière , lors de ces petites tertulies passionnées, ironiques, et parfois acerbes, tenues cap a cap, en son aquarium de l'avenue Gambetta. Tiens, tiens, "Avenue Henri Lhéritier, anciennement Gambetta", ce ne serait pas mal non plus !
Après, il faudra aussi penser à Claude Delmas et Joan Morer.
Photomontage : Gilbert Desclaux. Vendanges littéraires. ..
1) A PROPOS DE "LES VÊPRES SICILIENNES" de HENRI LHERITIER
3 septembre 2015, 16:55
"Où vas tu gitan ?"
De la page 1 à la page 40.
Dés la toute première ligne , il fait fort : « Au petit matin les rails luisent et sifflent sous le vent… » Bon, on a vu pire ! Songez que ça aurait pu être :« Longtemps je me suis couché de bonne heure » et il n’aurait même pas eu le Goncourt, lui non plus. Mais si, après avoir trempé sa plume dans l'encre bleue de l'étang de Salses,il avait écrit, sans la moindre ponctuation : "Au petit matin blême et poisseux couleur de cheval café crème qui boite encore effrayé par les derniers éclatements d’obus alors que la selle lui scie les reins malgré que le cavalier soit descendu et l’eut pris par la bride juste avant que la balle ne le frappe sans même sentir vouloir ou enfin penser que les rails de la gare de Perpignan luisent et sifflent sous le vent… » Là, c’était le Nobel, assuré !
C’est vrai que cette toute première phrase, l’incipit du livre, dirait le peu regretté père Jean, déconcerte alors que, seulement quarante pages plus tard, on est déjà en passe de considérer « les vêpres siciliennes » comme son meilleur roman.
En fait Lhéritier, il est comme ça, la provoc c’est son truc, sa sève, son millésime, et dans les seules quarante pages que je viens de lire et qui me font si pressé de les chroniquer, il n’est pas une ligne où vous ne retrouvez son petit sourire malicieux perçant sans difficulté sa barbe éternellement naissante. Je ne l’ai jamais vu rasé de près, pourtant nous nous croisons souvent dans la rue, il habite juste au bord de l’eau, sous un magnifique platane jamais élagué, lui non plus, et derrière une plaque en cuivre aussi peu imberbe que lui pour mieux en cacher son intitulé prestigieux: « Villa maréchal Joffre ». Lhéritier n’est pas au mieux avec ce dernier, alors que pour moi Joffre est presque un copain d’enfance! Mais si trois millions de morts nous séparent, pfff, une broutille par les temps qui courent, il nous arrive, avec Henri, pas Joffre bien sûr, de partager des soirées de recueillement patrimonial intense au cœur de notre vieille église. On appelle ça "La nuit des églises", elle a lieu en juillet, et chaque année, Henri la préside.
Donc si Lhéritier ne rêve jamais de Joffre, il partage en revanche beaucoup avec les Noïs, (Gitans en catalan roussillonnais), notamment le TGV Perpignan-Gare de Lyon, qui, sur les rails qui luisent et sifflent, l’emportent ce jour-là et avec S., à Paris. Plus vrais que nature, les gitans de Lhéritier qu’il peint libres et généreux comme ils savent l’être lorsqu’ils vont dans le monde avec ou sans guitare. Mais s’ils sont à la fois les contrôleurs, passagers et chefs de gares, bref le fil conducteur de ce début de voyage, la plume de Lhéritier, elle, est déjà très largement amorcée par les 4 000 volts qui descendent de ses caténaires à lui. Et je ne vous parle pas de son arrivée en la capitale, où il ouvre en grand ses valises à peine débarqué : « Nos vins rouges ? De pulpeuses actrices italiennes, celles que je voyais sur les affiches des cinémas de ma jeunesse, abondants et cambrés, eux aussi remplissent leurs formes, en tournant dans mon verre, ils dévoilent un bout de leur jupon, dans ce mouvement où les tétons frémissent, leur nez vivace exhale des parfums de femme et fait naître des rêves sensuels d’adolescent. » C’est ce constant aller-retour entre Paris et Rivesaltes qui portera, on le devine déjà, la trame des 250 pages de son livre.
Première halte sous les ors du palais du Luxembourg qui auront droit à leur part de critiques amusées, et bien senties en cette ville que l’auteur n’a pas encore qualifiée de lumière mais qui semble l’avoir éclairé en ces premières pages. Le rythme y est alerte, allegro vivace, pour ce premier mouvement, un régal. En attendant la suite avec impatience, je le laisse dans le RER bondé : « Je vérifie que les types n’en profitent pas pour serrer S. de trop près car je sais ce qu’il en est, j’ai moi-même le nez à hauteur de certains seins inconnus mais pas si mal, ma foi ! Et mon devant pénètre dans un derrière dont j’espère qu’il est féminin, rien n’est moins sûr, tant chaque mouvement dans ce presse-purée, ne serait-ce que tourner un peu la tête, est malcommode. »
A SUIVRE
2) A PROPOS DE "Les Vêpres Siciliennes", Henri Lhéritier,
5 septembre 2015, 10:59
"Du Luxembourg à Koenigsmark"
De la page 40 à la page 80
Nous avons laissé Henri foncer en RER vers Nanterre - plus tout à fait « l’embourbée », comme la chantait Reggiani - où un prestigieux amphi littéraire l’attend, avec Pierre Benoit ! Diderot, on connaissait la passion fantasmée de Lhéritier envers l’encyclopédique maîtresse Sophie Vollard, mais Pierre Benoit, voyons, Pierre Benoit ! J’avais lu Köenigsmark à onze ans, je me souviens très bien, dans les hauts murs du préventorium de Port la nouvelle où il n’y avait que la lecture ou les caboteurs qui montaient et descendaient le canal pour nous faire rêver. Notre monitrice, mademoiselle Yvonne, avait de gros seins et un amant, matelot sur un pétrolier qui faisait la liaison avec Martigues. Elle ne vivait, en fidèle femme de marin, que dans l’attente de son retour, en principe une bonne fois par semaine... Jeune femme dynamique qui savait joindre l’utile à l’agréable en nous faisait partager ses espérances, ses humeurs, ses préoccupations plus terre à terre et ses amours.... Par exemple, construire et entretenir à chacune de nos sorties littorales, une baraque de roseaux et de tamarins, qui le jour, nous servait de repaire de pirates et la nuit, pour elle et lui, de nid d’amour. Autre fonction qui incombait à celui de ses gamins dont elle avait eu à se féliciter de la conduite, et cela m’arriva souvent ; se poster au dernier étage du prévent, face à la mer, et guetter à l’aide d’une vieille binoculaire l’arrivée du pétrolier tant aimé. Que de fois ais-je descendu quatre à quatre les escaliers du dortoir pour annoncer triomphalement « C’est le Faraman qui arrive, c’est le Faraman ! » C’est en ces circonstances que j’appris que Enzo, était un prénom italien avant de devenir celui de centaines de fils de pauvres, qu’Axelle était un prénom de filles nobles et que Pierre Benoit pouvait générer, chez un enfant de onze ans, autant de rêves d’évasion qu’un pétrolier italien.
Celle-là, je la fais parce qu’elle manque au répertoire de Lhéritier dans son fulgurant et fulminant panégyrique sur le père Benoit.
En effet, ce sont quarante pages d’anthologie que ce chapitre mettant en scène dans un amphi de l’Université de Nanterre, l’auteur, tenant conférence sur Pierre Benoit au milieu des meilleurs spécialistes littéraires de l'écrivain ! Foin des tenants et aboutissants de l’histoire, vraie, il faut déguster en bloc ce passage car c’est du Lhéritier à l’état pur, direct surgi de son tabernacle d’où il expose, après maintes génuflexions, tout le sacrément bon de sa plume.
Mais ne vous y trompez-pas, même si le don qu'il reçut vient du toucher plein de grâce de son front par la main du bon Dieu, Lhéritier n’en chante pas éternellement la gloire. Notre homme a su pêcher, dans tous les sens du terme, et libère son âme de pourfendeur et de contestataire tous azimuts, pas toujours très catholique. Pas de cadeau pour le saint Benoit de la littérature ! Hardi, la révolution lhéritienne gronde depuis la tribune, face à au auditoire médusé et aux victimes innocentes, Matzneff par exemple qui passait par là et qu'en snipper au grand coeur, il achévera au couteau, pour lui éviter trop de souffrances..
Foin de cris de guerres, toutefois, entre Montjoie Saint Denis et No pasaran, Lhéritier a depuis longtemps fait son choix, ce n’est pas l'épée du chevalier, mais le Chato républicain de la guerre d'Espagne ! Il avait dit sa difficulté chronique à parler devant autrui. Oui, oui, chattemite… Quelques lignes plus loin, il se révèle : « L’écriture me libère, elle fait de moi un type dangereux, un condottiere fondateur d’empire, elle me rend sans-gêne et vindicatif, je blesse, je trahis, je viole, j’assassine, je découpe, j’ensevelis. Ma bouche ne sert plus qu’à cracher, mordre, boire des tonneaux de vin et vider des outres de sang… » Mais ne croyez pas que l’hystérie s’est emparée de notre tribun , oh que non, toute son intervention sera formidablement argumentée, documentée, même si les feuillets volent juste avant l'estocade finale "Vous voyez bien que je l’aime.(Benoit) Je peux me moquer de lui et l’admirer en même temps". Ne serait-ce pas une définition de l’amitié ? Et quel meilleur ami que la littérature !
Du grand art !
A SUIVRE.
3) A PROPOS DE LES VÊPRES SICILIENNES de Henri Lhéritier
10 septembre 2015, 21:33
"Sous le pont Jean Jacquet coule la Seine"
Si Bertrand Delanoé a trouvé la plage sous les pavés des bords de Seine, c’est a un quai de l’Agly couvert de bouquinistes que rêve Lhéritier revenu à ses flâneries parisiennes… Il a lâché les basques de Maztneff et Benoit, fraîchement étrillés comme bons chevaux de labours, pour tâter du bon bec qui comme chacun sait, ou admet, (sauf lui), n’est que de Paris. Car malgré son vibrant éloge de la tête de veau montparnassienne, il continue, durant ses pérégrinations parisiennes, ses incessants come-back vers ses terres originelles.
Impossible de décrocher, ne serait-ce que de quelques pages de ce périmètre limité par ses Corbières au Nord, sa méditerranée à l’Est, ses Albères au Sud et ses Pyrénées à l'ouest. Pour lui, l'aventure, c'est s’immerger partout dans le monde, et parfois, dans le beau monde, mais sans quitter son « saronet » de terre natale qu’il porte en permanence en bandoulière autour de son cœur.
Les Parisiens, bien sûr, y voient là plutôt un cilice, dont ils se gaussent, tant il est vrai que vivre, écrire et éditer en Roussillon vous range illico, sur l’étagère du bas, celle des écrivains régionalistes. Pouah, s’indignerait Busnell l’anglophile intégral, le porte épée en chef de la littérature amerloque, l’apologiste du libéralisme éditorial dont chaque émission est un onze septembre pour la littérature française alors qu’il prétend l’honorer en sacralisant ses propres horizons limités à la ligne bleue des sunligts
Tout écrivain est né quelque part n’en déplaise à Brassens, qui d’ailleurs, in fine, demandera à être enterré sur la plage de Sète. Claude Simon, après tant et tant de périples initiatiques, de kilomètres parcourus sans une virgule, mourra bien écrasé par un tramway, comme Gaudi, non ? Je rêve ? Et Brasillach, zut, qu’ai-je dit ? Robert, donc, pour ceux qui ne le conchient pas, saviez-vous que les douze balles qui le tuèrent, ensevelissant sa catalanité localement honnie, avaient pourtant été fondues dans des moules en fer du Canigou ? Bon, je l’avoue, j’ai un penchant, mais très coupable je vous rassure, pour ce triste sire . Est-ce mal de croire que ce n’est pas aux profondeurs de son être qu’il va chercher son fascisme pourtant hurlé à pleine gorge dans « je suis partout » ? Est-ce idiot de penser que sa vérité profonde est plutôt à chercher dans ses romans qui sont pour la plupart l’antinomie de ses écoeurants écrits militants? Etrange garçon qui n’a cessé toute sa vie d’exalter la virilité sous sa forme la plus criminelle, alors qu’en fait, il ne faisait que courir après la sienne. Lui, qui n’a cessé de taire, de rentrer, de cacher ce qui était alors impensable et que l’on proclame et revendique aujourd’hui. Lui, qui ne se laissera qu’une seule fois aller à écrire l’amour physique entre un homme et une femme. Une très chaude nuit à Tolède, dans « Comme le temps passe » qui est pourtant parmi les plus fortes et les plus belles pages d’amour de la littérature française.
Bon, j’ai délaissé Lhéritier pour Brasillach, voilà qui va le fâcher. Il préfère nettement Echenoz avec qui il a rendez-vous, dans une cave à vin. Evidemment Ils sont devenus amis lorsque l’auteur de « 14 » avait précédemment obtenu le grand prix des Vendanges littéraires : 300 bouteilles de Rivesaltes !
Et le Rivesaltais d’affirmer : « Seul le vin peut fournir une plus juste rétribution à la littérature, l’argent n’en est plus digne !» Si cette petite phrase ne lui vaut pas la reconnaissance éternelle et conjointe du monde des vignerons roussillonnais et de celle des lettres françaises, c’est à désespérer du traité des Pyrénées… Là est peut-être ce que certains, pas moi je suis pareil, appellent l’ambiguïté, ou les paradoxes, de ce Catalan qui d’une part, n’ose pas parler sa langue, et de l’autre affirme clairement sa catalanité. C’est que Lhéritier, n’est plus l’exception sur une terre où ils sont nombreux, très nombreux, à avoir accepté que notre grand arbre de vie à nous, Catalans du Nord des Pyrénées, nourrisse ses racines aux deux cultures, française et catalane, qui en sont désormais le terreau. Ecoutez-le parler d’Echenoz, Onfray, Bloy et autres Benoit ; sa culture est française. Mais que s’approchent les jacobins qui rêvent d’une France, une, catholique, apostolique, ou béatement républicaine (c’est hélas devenu un pléonasme) et le voilà qui sort ses griffes, pire, sa plume, pour voler au secours de notre âme en danger.
Tiens, autre passion française, Diderot, c’est vrai qu’il y a de quoi. Et voilà notre flâneur parisien parti à sa rencontre devant le 145 du boulevard Saint- Germain. Sketch, au pied de la statue : « Je suis ému par la présence de Denis, même en bronze, j’ai passé de tels moments avec ses lettres à Sophie Volland. C’est un ami, un géant et un trouble-fête dans l’agitation sensuelle du XVIII ème siècle qu’il dépouille de toute sa transcendance. Pour l’humanité il est le modèle absolu de l’écrivain, qu’on me prouve le contraire… On serait tenté d'écrire "Rideau", aussi, je ne vous raconterai pas les agapes de Lhéritier avec Echenoz, ni S., ni sa traversée de Paris entre Gabin et Bourvil, non plus sa rencontre avec Joffre sur le chemin des Delmas, Saint Claudel des pipes et des piliers, ou, enfin, le pourquoi du titre qu’il choisit pour ce roman très autobiographique : Les Vêpres siciliennes…
Pourquoi ne pas en dire plus? Parcequ'il faut le lire, ce livre, sans doute son meilleur, pour moi en tous cas. Supérieur à ses lettres à Sophie ? Oui, car sans rien enlever à ce formidable dialogue à trois avec le père de l’Encyclopédie, Lhéritier, prisonnier de ces deux personnages qu’il ne veut pas trahir, s’est collé des limites, des lignes jaunes à ne pas franchir. Avec "les Vêpres", sa liberté, je devrais dire sa libération est totale, et il n’est jamais meilleur que lorsqu’il laisse virevolter sa plume, sans la moindre entrave. Foin de chaines et de carrés blancs à ses fantasmes, , mais de nombreux maillons, de cordes à son arc, de pistons à ses trompettes, de mas à ses garrigues, de bijoux à ses Castafiores et de sentiers à sa gloire, hé, hé, pour nous livrer, une fois encore, merci Henri, ce qui se fait de bon et de mieux par ces tristes temps en notre bonne vieille terre catalane.
Le tout meilleur d'Henri Lhéritier :
http://l.archipel.contre-attaque.over-blog.fr/tag/henri%20lheritier/
Perpignan/vidéo:Le défilé du Condottiere , hommage à l'écrivain Henri Lhéritier!
http://l.archipel.contre-attaque.over-blog.fr/2016/05/perpignan-video-le-defile-du-condottiere-hommage-a-l-ecrivain-henri-lheritier.html