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Henri Lhéritier nous a quitté hier (enfin à quelques années près) et il nous a laissé un dernier manuscrit, non encore édité : "le cri"
enchanté par la lecture du "défilé du condottière" a dévoré le manuscrit, est nous en a fait "cinc centimes" comme on dit en catalan
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C’est la Guerre est le cri unanime de ce 1er août 1914, un charivari submerge les rues et la place centrale d’Estagel, François Arago, l’enfant du pays sur son socle, l’observe avec effroi. C’est le grand mufle de Mars qui se met à souffler. Partout, en Europe, dans cet étroit défilé entre les collines blanches que l’Agly contourne et érode, et dans les vastes territoires des belligérants, montagnes, mers et cités, de la vie s’agite, se désespère ou clame et se précipite à la rencontre de la mort. Encore un livre sur la guerre, la seule, la vrai, la grande usine à fabriquer des morts ? Oui, encore un. Ce n’est pas à la gloire ou à la patrie que les morts servent le plus mais à la littérature. Le temps affecte les vivants comme les morts, même eux ont une durée de vie. Voilà pour la littérature. Au fil des générations, elle s’était faite discrète, la guerre, comme si elle avait fait ses adieux à la scène. Ceux qui l’ont frôlée, les plus vieux d’entre nous, ont même pensé, un temps, qu’elle avait disparu, qu’elle n’existait plus. Rassurons-nous, elle est toujours là, mais elle a pris du champ, loin vers le sud ou l’orient dans de modernes conflits exotiques.
C’est un journal retrouvé, dans un grenier, celui d’Henri, jeune médecin remplaçant à Estagel, qui va fournir à un autre Henri, écrivain et vigneron, l’idée d’un dialogue à cent ans de distance. Le Cri est aussi une histoire d’ici. Le jeune médecin, en 1915 emportera au front une bombonne de Rancio, qu’un aïeul d’Henri Lhéritier aura sans doute élevé. On est rarement apaisé quand on écrit sur la grande tueuse et Henri L. écrit sous le coup d’une colère qui ne le quittera pas. « Après ma mort, je vous la léguerai qu’on la transmettre jusqu’à la fin des temps ». Ce sera fait Henri. Existe-t-il dans l’humain quelque chose d’un absolu le poussant à accepter de se frotter, sans raison à sa propre fin, un appel qui surgit, qu’il ne peut pas réfréner, qui le transforme et l’abrutit jusqu’à mourir ?
Et puis il y a les femmes : pour elles, c’est la double peine, mères, pétrifiées, recevant d’un messager le télégramme sanglant qu’elles redoutaient qui les laisse, bouche ouverte, figées dans l’horreur pour toujours. Elles ont perdu la guerre sur le pas de leur porte. Ce livre raconte l’intimité des vivants et des morts. Celle d’Henri, de Léon de Vilar, de sa mère Marie. Les deux hommes sont pays, se connaissaient, se sont retrouvés au front, ont été séparés. Henri ne reverra plus Léon vivant. Mais une mère a besoin de savoir, elle ne veut pas laisser partir cet enfant adoré sans savoir, le seul garçon de la famille. À Henri elle va demander de faire le récit de la guerre de son fils. C’est Henri Lhéritier qui rédigera la lettre cent ans plus tard, après allé se recueillir devant le caveau des Vilar au cimetière de Bouleternère. Un fils mort à la guerre, cela scelle dans certains cas la fin d’une famille, plus personne ne fleurit ce lieu, pas même la France qui prétend qu’on est mort pour elle. Le caveau des Vilar semble bien abandonné. Cette mère devrait crier à l’injustice, à l’infamie, hurler à la face de la nation qu’on lui a volé son garçon, elle se contentera pourtant des dernières images de son fils recueillies dans les mots d’un autre. Des mots qui ne consoleront pas, qui augmenteront sa souffrance, c’est ainsi qu’on agit avec la tristesse pour la porter à l’incandescence du désespoir.
Léon de Vilar fait partie des miens et j’entends le choc sourd de son corps qui s’affaisse dans la fosse. Moi seul savait comment il était tombé, ainsi avais-je le sentiment d’apporter cent ans plus tard une histoire qui appartenait au village et qu’il était en train d’oublier.
Les vieux papiers, les photos anciennes ont un temps de brûlante douleur, ensuite une tendresse mémorielle les entoure, on se souvient d’un sourire, d’un événement, du chapeau d’une tante, de la canne d’une autre, d’une écriture, d’une certaine façon de former les « l » ou les « p », d’un usage des majuscules, puis le temps toujours, les rends méconnaissables, porteurs de rien, parcelles de souvenirs dans le vent que le vent finit de disperser, les sourires évanouis sont-ils utiles ? Pas plus que les morts. Mais écrit-on encore de nos jours.
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