Un titre décalé et énigmatique, "Disparition du département des Pyrénées-Orientales", qui pourrait faire croire à une provocation dans le débat actuel sur le pays catalan, il n’en est rien. Claude Delmas n’a jamais été de ceux qui, par snobisme politique, choisissent de se vendre au plus chaud du fer rougi par l’actu. Plume en main, il a toujours pris la mesure du temps et dans son dernier livre, il lâche sablier, horloges et calendrier des Postes pour atterrir en inversant les réacteurs de sa vie trépidante de cadre d'Air France. Plus de fuseaux horaires coupés, comme d’autres coupent les virages pour d’illusoires gains de temps, justement. Aussi, faut-il avoir lu jusqu’à la dernière page pour augurer ce que Claude Delmas a voulu mettre dans le titre. Car cette disparition annoncée, n’est pas celle du département qui a depuis longtemps perdu les octanes de son essence divine, celle qui faisait y descendre, naître ou mourir, peintres, écrivains, musiciens ou poètes, pour les remplacer aujourd’hui par les tristes senteurs du tourisme de masse. Non, la cause est perdue depuis longtemps, il le précise au passage, mais c’est une toute autre disparition que Delmas entend simplement raconter, en l'habillant de dimanche, comme on le faisait jadis pour saluer non pas le jour du Seigneur, mais celui du repos sainement gagné après une rude semaine de labeur. Pas de nostalgie qui n’est plus ce qu’elle était, pas de recherche du temps perdu goinfré de madeleines, non, un constat doux et lucide, celui d’une vie, la sienne, venue, vécue et vaincue par de petits bonheurs simples ou élitistes, entre deux siècles si riches en bouleversements en tous genres. Ah, combien de fois n'a t-il projeté sur grand écran, les images indélébiles du bombardement de Port-Bou par les Franquistes, la soutane ensanglantée de l'abbé Niort, ou des folies d'Espagne, toujours vers le Sud... Chacun de nous, foraster, autochtone, ou ce qu’il reste des générations perdues, pourrait se reconnaître dans ce grand Adieu majuscule qu’il nous livre. Adieu à qui, à quoi ? Grand Meaulnes ou grand Duduche éternellement amoureux de toutes les filles de proviseurs , ce grand dégingandé , nous laisse le choix des grilles de lecture qui paraissent fort simples, simplistes diront d’autres, mais qui, en réalité, font surgir d’étonnants points d’interrogation sur notre homme. Amoureux de la vie, il l’est, esthète, évidemment, bouffeur de curés, toujours, homme de gauche, cela va de soi. Mais au-delà de ses précédents ouvrages romanesques ou romancés, bardés de certitudes, bonjour Marie, au-delà encore de son accent de cajoleuse rocaille qui fait la part belle à sa tendresse, sa joie d’écrire et de raconter, on découvre quelques accents inédits, chuchotés, que le lecteur recueille en confidence, presque en confession. On touche là au plus intime de Delmas. On est à la porte de l’étonnant mystère, peut-être cette disparition annoncée dès les âpres calcaires de Vingrau, et le silence de la mer qui vient lécher sa maison, en novembre 1942, rue Parmentier, à Rivesaltes. Chut, je lis…
Et pour ce faire, je m’accroche, car il faut être sportif pour plonger ainsi en son texte, il n’est pas pour rien voisin de Claude Simon ! Pas de numérotation de pages, de chapitres, ni d’alinéas, seules quelques majuscules en caractère gras permettent d’avoir pied. Tout est à lire d’un trait, en apnée, ou d’un gloup, cul sec ! Mais je m’habitue vite, car si parfois Claude semble avoir jeté ses mots sur la page, comme pour s’en débarrasser au plus vite, il y a tout au long de ce déroulé, de cette tranche qu’il s’est bien payée, ses yeux bleus qui me regardent bien en face, comme pour me dire, un brin narquois, de sa voix chaude, inimitable et complice : « Tu vois, Michel, c’est ça la vie ! »
commenter cet article …