13 / Les nouvelles formes de la Guerre
Le langage de l’hypercapitalisme est celui de l’économie, et comme tel, c’est un langage de guerre. Le seul qui lui permette d’asseoir le pouvoir de ses féodalités mafieuses et d’assurer son extension planétaire. À l’image de son modèle féodal, le développement de l’hypercapitalisme exige donc d’envahir, de dévaster, de conquérir et de vassaliser.
La subordination de toute activité économique à une activité guerrière transforme toute économie de paix en économie de guerre. De même que le droit à une libre colonisation marchande attise tous les conflits guerriers, l’appel permanent à la violence et à la conquête nous confirme que l’intégrisme marchand n’a rien à envier à l’intégrisme religieux.
Puisque la guerre est un état d’exception qui légalise le crime, le développement d’une économie de guerre justifie la transformation de l’état de droit en état d’exception. Un tel état d’exception se substitue durablement à l’état de droit en transformant tout état de paix en état de guerre permanente.
Bien loin d’un affrontement de civilisations, le retour du fétichisme religieux, comme le transfert du fétichisme de la marchandise en fétichisme de la finance, témoignent de l’effondrement d’un modèle humaniste de civilisation héritier des Lumières qui reposait explicitement sur la raison, la logique, la vérification des faits et la pensée historique. La domination planétaire des barbaries marchandes, spéculatives et religieuses est la conséquence directe de cet effondrement.
De même que les féodalités mafieuses ont besoin de chômage pour entretenir la paix sociale, de peur pour imposer la suppression des avantages sociaux, elles ont besoin de chaos pour légitimer la mise en place d’un état d’exception. Cependant, leur constant recours à des dispositifs chaotiques les rend profondément instables et les rapproche, d’ailleurs, des anciennes sociétés féodales. Cette instabilité structurelle s’observe tout aussi bien dans les accords de libre-échange, que dans les alliances, mésalliances, désunions et conflits guerriers qui répondent aux exigences d’une libre circulation de marchandises solidaires dans leur principe, mais adverses dans leur pratique. Cette instabilité s’observe également dans le développement d’intégrismes religieux, marchands et financiers toujours concurrents et fatalement ennemis. Cette instabilité de nature exponentielle n’a pas de limite, sinon celle que pourrait lui imposer la destruction achevée et définitive de la planète.
Penser de manière raisonnée et globale la tactique guerrière des féodalités mafieuses, c’est ne plus séparer les campagnes militaires du Moyen-Orient des nouvelles formes de la colonisation en Afrique, en Asie, en Amérique Latine et en Europe. C’est ne plus dissocier le développement planétaire du terrorisme islamique et les accords internationaux de libre-échange. Toutes les féodalités militaro-industrielles entendent bien retourner à leur profit les guerres nationalistes et religieuses qu’elles soutiennent et entretiennent, tout comme elles se font fort de liquider les services publics, de privatiser la culture, de détruire l’instruction publique, d’ignorer les mises en garde écologistes et d’écraser les révoltes sociales.
C’est en ces termes que doivent être comprises les guerres qui existent déjà, comme celles qui vont s’étendre en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie et en Europe. Elles ne différencient plus leurs ennemis, mais les condamnent tous, indifféremment. En portant les formes étatiques locales à leur effondrement, elles poussent l’idée d’État-nation jusqu’à son retournement.
Pour paraphraser la novlangue contemporaine, la profusion de « plans sociaux » anticipe toujours de futures « campagnes de libération » toujours menées au nom du « droit d’ingérence humanitaire ».
Après avoir produit des Ben-Laden « en série » pour lutter contre « le communisme », les apprentis sorciers du chaos ont modélisé en Irak, puis en Syrie, une opposition « démocratique » inféodée au jihadisme ; ils ont instrumentalisé une renaissance chiite, ouvert la région à l’influence de l’Iran, accordé les pleins pouvoirs à la puissance financière et religieuse de l’Arabie-Saoudite, détruit la Libye, liquidé Khadafi, négocié sans états d’âme avec Ankara, abandonné à nouveau les Kurdes, renforcé la corruption et la barbarie du gouvernement israélien, intensifié l’islamisation de l’Afrique, ouvert la porte au flux incontrôlable des réfugiés et des migrants, déstabilisé toute l’Amérique Latine.
Pour ruiner si durablement la planète tout entière, les nouvelles formes de la guerre ne se réduisent pas au seul spectacle des conflits locaux ; si elles contiennent leur médiatisation spectaculaire, elles ne s’y limitent pas. Leur vrai « théâtre d’opération » englobe la totalité des activités humaines, leurs déterminations et leurs attributs ainsi que leurs finalités et leurs modes opératoires. Cette « globalisation » guerrière reste le plus souvent invisible aux yeux des post-citoyens : si elle les affecte durablement dans leurs non-vies quotidiennes, elle tend nécessairement à être ignorée d’eux. Cette ignorance est elle-même l’un des attributs de cette « globalisation » guerrière.
La gestion de la paix comme un état de guerre fait appel à un nouveau « savoir » qui postule, en s’appropriant la technologie informatique, la confusion du virtuel et du réel. Selon les termes de la post-logique, les armes de destructions massives, qui ont été le prétexte à l’occupation de l’Irak, existent et simultanément n’existent pas. De même que la recherche virtuelle de telles armes a justifié une guerre, l’oubli de leur découverte a justifié l’excellence de l’occupation militaire.
Dans le monde réellement inversé du nouvel ordre féodal, le vrai n’est plus seulement un moment du faux, ils sont dorénavant devenus indifférents l’un à l’autre, et cette séparation achevée vient confirmer la disparition d’une vérité vérifiable.
La guerre moderne qui confond dans une même visée tacticienne les critères de vérité et les mensonges, épaissit « le brouillard de la guerre » dont parlait Clausewitz. Son degré d’abstraction, sa forme nécessairement déréalisée tend à ne considérer les morts que de manière virtuelle. Dans une sur-représentation médiatique, mais nécessairement indifférenciée, la part du crime est devenue de plus en plus obscure, de moins en moins identifiable. Les cibles s’équivalent, se superposent, se confondent, se remplacent ; il en va de même des conflits, qu’ils soient guerriers ou économiques. Cette confusion, ce chaos permanent s’étend aux victimes civiles, aux morts, aux blessés, aux chômeurs comme aux réfugiés. Pour la guerre moderne une telle confusion suppose que le front extérieur se confonde dorénavant avec le front intérieur. Sous sa forme spécifique, la guerre moderne tend à devenir une guerre civile généralisée.
Le 22 mars 2000, Mark Lombardi est retrouvé pendu dans son atelier. Un des tableaux du « suicidé » a retenu l’attention du FBI au lendemain des attentats islamistes du 11 septembre. Sur celui-ci apparaissent les noms des banques et des institutions liant la famille Bush à celle des Ben Laden.
La mort de Mark Lombardi nous informe sur la manière dont la Société du chaos gère toute remise en cause trop documentée sur sa domination.
Une société dans la gestion de laquelle s’est installée durablement un grand déficit de connaissances historiques, ne peut plus être conduite stratégiquement.
Tous les épisodes ici:
http://l.archipel.contre-attaque.over-blog.fr/tag/la%20societe%20du%20chaos/
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