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L'archipel Contre-Attaque

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21 juin 2020 7 21 /06 /juin /2020 13:34

13 / Les nouvelles formes de la Guerre

Le langage de l’hypercapitalisme est celui de l’économie, et comme tel, c’est un langage de guerre. Le seul qui lui permette d’asseoir le pouvoir de ses féodalités mafieuses et d’assurer son extension planétaire. À l’image de son modèle féodal, le développement de l’hypercapitalisme exige donc d’envahir, de dévaster, de conquérir et de vassaliser.

La subordination de toute activité économique à une activité guerrière transforme toute économie de paix en économie de guerre. De même que le droit à une libre colonisation marchande attise tous les conflits guerriers, l’appel permanent à la violence et à la conquête nous confirme que l’intégrisme marchand n’a rien à envier à l’intégrisme religieux.

Puisque la guerre est un état d’exception qui légalise le crime, le développement d’une économie de guerre justifie la transformation de l’état de droit en état d’exception. Un tel état d’exception se substitue durablement à l’état de droit en transformant tout état de paix en état de guerre permanente.

Bien loin d’un affrontement de civilisations, le retour du fétichisme religieux, comme le transfert du fétichisme de la marchandise en fétichisme de la finance, témoignent de l’effondrement d’un modèle humaniste de civilisation héritier des Lumières qui reposait explicitement sur la raison, la logique, la vérification des faits et la pensée historique. La domination planétaire des barbaries marchandes, spéculatives et religieuses est la conséquence directe de cet effondrement.

De même que les féodalités mafieuses ont besoin de chômage pour entretenir la paix sociale, de peur pour imposer la suppression des avantages sociaux, elles ont besoin de chaos pour légitimer la mise en place d’un état d’exception. Cependant, leur constant recours à des dispositifs chaotiques les rend profondément instables et les rapproche, d’ailleurs, des anciennes sociétés féodales. Cette instabilité structurelle s’observe tout aussi bien dans les accords de libre-échange, que dans les alliances, mésalliances, désunions et conflits guerriers qui répondent aux exigences d’une libre circulation de marchandises solidaires dans leur principe, mais adverses dans leur pratique. Cette instabilité s’observe également dans le développement d’intégrismes religieux, marchands et financiers toujours concurrents et fatalement ennemis. Cette instabilité de nature exponentielle n’a pas de limite, sinon celle que pourrait lui imposer la destruction achevée et définitive de la planète.

Penser de manière raisonnée et globale la tactique guerrière des féodalités mafieuses, c’est ne plus séparer les campagnes militaires du Moyen-Orient des nouvelles formes de la colonisation en Afrique, en Asie, en Amérique Latine et en Europe. C’est ne plus dissocier le développement planétaire du terrorisme islamique et les accords internationaux de libre-échange. Toutes les féodalités militaro-industrielles entendent bien retourner à leur profit les guerres nationalistes et religieuses qu’elles soutiennent et entretiennent, tout comme elles se font fort de liquider les services publics, de privatiser la culture, de détruire l’instruction publique, d’ignorer les mises en garde écologistes et d’écraser les révoltes sociales.

C’est en ces termes que doivent être comprises les guerres qui existent déjà, comme celles qui vont s’étendre en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie et en Europe. Elles ne différencient plus leurs ennemis, mais les condamnent tous, indifféremment. En portant les formes étatiques locales à leur effondrement, elles poussent l’idée d’État-nation jusqu’à son retournement.

Pour paraphraser la novlangue contemporaine, la profusion de « plans sociaux » anticipe toujours de futures « campagnes de libération » toujours menées au nom du « droit d’ingérence humanitaire ».

Après avoir produit des Ben-Laden « en série » pour lutter contre « le communisme », les apprentis sorciers du chaos ont modélisé en Irak, puis en Syrie, une opposition « démocratique » inféodée au jihadisme ; ils ont instrumentalisé une renaissance chiite, ouvert la région à l’influence de l’Iran, accordé les pleins pouvoirs à la puissance financière et religieuse de l’Arabie-Saoudite, détruit la Libye, liquidé Khadafi, négocié sans états d’âme avec Ankara, abandonné à nouveau les Kurdes, renforcé la corruption et la barbarie du gouvernement israélien, intensifié l’islamisation de l’Afrique, ouvert la porte au flux incontrôlable des réfugiés et des migrants, déstabilisé toute l’Amérique Latine.

Pour ruiner si durablement la planète tout entière, les nouvelles formes de la guerre ne se réduisent pas au seul spectacle des conflits locaux ; si elles contiennent leur médiatisation spectaculaire, elles ne s’y limitent pas. Leur vrai « théâtre d’opération » englobe la totalité des activités humaines, leurs déterminations et leurs attributs ainsi que leurs finalités et leurs modes opératoires. Cette « globalisation » guerrière reste le plus souvent invisible aux yeux des post-citoyens : si elle les affecte durablement dans leurs non-vies quotidiennes, elle tend nécessairement à être ignorée d’eux. Cette ignorance est elle-même l’un des attributs de cette « globalisation » guerrière.

La gestion de la paix comme un état de guerre fait appel à un nouveau « savoir » qui postule, en s’appropriant la technologie informatique, la confusion du virtuel et du réel. Selon les termes de la post-logique, les armes de destructions massives, qui ont été le prétexte à l’occupation de l’Irak, existent et simultanément n’existent pas. De même que la recherche virtuelle de telles armes a justifié une guerre, l’oubli de leur découverte a justifié l’excellence de l’occupation militaire.

Dans le monde réellement inversé du nouvel ordre féodal, le vrai n’est plus seulement un moment du faux, ils sont dorénavant devenus indifférents l’un à l’autre, et cette séparation achevée vient confirmer la disparition d’une vérité vérifiable.

La guerre moderne qui confond dans une même visée tacticienne les critères de vérité et les mensonges, épaissit « le brouillard de la guerre » dont parlait Clausewitz. Son degré d’abstraction, sa forme nécessairement déréalisée tend à ne considérer les morts que de manière virtuelle. Dans une sur-représentation médiatique, mais nécessairement indifférenciée, la part du crime est devenue de plus en plus obscure, de moins en moins identifiable. Les cibles s’équivalent, se superposent, se confondent, se remplacent ; il en va de même des conflits, qu’ils soient guerriers ou économiques. Cette confusion, ce chaos permanent s’étend aux victimes civiles, aux morts, aux blessés, aux chômeurs comme aux réfugiés. Pour la guerre moderne une telle confusion suppose que le front extérieur se confonde dorénavant avec le front intérieur. Sous sa forme spécifique, la guerre moderne tend à devenir une guerre civile généralisée.

Le 22 mars 2000, Mark Lombardi est retrouvé pendu dans son atelier. Un des tableaux du « suicidé » a retenu l’attention du FBI au lendemain des attentats islamistes du 11 septembre. Sur celui-ci apparaissent les noms des banques et des institutions liant la famille Bush à celle des Ben Laden.

La mort de Mark Lombardi nous informe sur la manière dont la Société du chaos gère toute remise en cause trop documentée sur sa domination.

Une société dans la gestion de laquelle s’est installée durablement un grand déficit de connaissances historiques, ne peut plus être conduite stratégiquement.

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13 juin 2020 6 13 /06 /juin /2020 22:26

12 / Le nouvel ordre féodal

Sagement abandonnés à leurs réseaux sociaux, les post-citoyens sont soumis à des messages algorithmiques venus leur signifier que, n’étant pas encore morts, ils sont pourtant tous condamnés. Mais l’hypothèse d’un sursis, aussi minime soit-il, semble les rassurer.

Quel sens accordent les post-citoyens aux propos de dirigeants les entretenant de leur avenir ? Que retiennent-ils de cette suite de mots qui s’enchaînent trop vite : « pénurie, crise, réactivité, éducation, recherche, compétitivité, privatisation, taille critique » ? Peuvent-ils imaginer que la nouvelle pauvreté de leurs vies est le contre-pied des aides qu’ils ont accordées massivement au symbole même de leur exploitation : à leurs banques ?

La Bourse ou la vie ! Ils en connaissent tous l’injonction, mais plus la signification actuelle. Comment être surpris que ceux qui ont si facilement participé au sauvetage de leur système bancaire soient les mêmes qui ont remisé l’histoire au placard, abandonné l’Instruction publique et évincé le passé ou, du moins, redoublé son obscurité.

Les grandes entreprises multinationales qui obéissent fort virtuellement aux directives d’un accord de libre-échange ne font qu’obéir aux ordres qu’elles ont elles-mêmes édictées ; elles sont donc libres de pénaliser les États qui contreviendraient d’une manière ou d’une autre à l’objectif véritable d’un tel accord : le seul enrichissement de ces firmes. Elles n’ont pas à se justifier devant des électeurs, ni à craindre aucun contrôle sur l’origine de leur richesse.

Warren Buffett a raison d’afficher sa satisfaction : « La lutte des classes existe, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène actuellement la guerre ; et nous sommes en train de la gagner. »

Assurance maladie, culture, droits d’auteur, énergie, équipements publics, formation professionnelle, immigration, liberté du Net, normes de toxicité, prix des médicaments, protection de la vie privée, ressources naturelles, sécurité des aliments : pas un domaine d’intérêt général qu’un accord de libre-échange bien conçu n’abandonne aux grandes entreprises multinationales. Comme l’écrivait Guy Debord, « Ceux qui ont fait confiance au Marché et lui doivent leur “extraordinaire bonheur” admettent qu’il n’y a pas à lésiner sur son coût ; tandis que les autres désinforment ».

L’hypercapitalisme est un racket pyramidal à une échelle globale. Le genre de pyramide au sommet de laquelle on fait des sacrifices humains. Sous les paysages de haute crapulerie créés par les « élites de la spéculation » il y a des gouffres où l’escroquerie à la petite semaine est devenue un crime capital contre l’humanité. Partout la spéculation est devenue souveraine; elle gouverne, selon les prépondérances locales, autour des Bourses, ou des États, ou des Mafias. Tout le reste est misère.

Ce qui est encore innaperçu, c’est que dans les deux décennies qui viennent, les innovations technologiques et marchandes dans la robotique et le numérique vont détruire massivement des emplois sans en créer de nouveaux, sinon des emplois sous-payés qui étendront au plus grand nombre le règne de la misère sociale. Au cours de cette période, une autre calamité, aujourd’hui largement passée sous silence, deviendra déterminante : celle d’une démographie africaine devenue folle, au pire moment qui soit, celui où le travail salarié, tout comme l’eau, sera devenu une rareté.

Plus que toute autre, notre époque nous fait ressentir la gravitation, la fatigue et la vague impuissance du futur, le « sombre recul abyssal du temps » du vers de Shakespeare. C’est lorsque, devenue structurelle, l’actuelle crise économique donnera sa pleine mesure que se manifesteront ses pires conséquences. Le dénuement dans lequel les post-citoyens sont invités à vivre aujourd’hui, deviendra leur quotidien demain. Le Marché leur imposera une nouvelle « loi d’airain des salaires » qui les soumettra à la plus extrême des précarités et aux ordres d’une consommation dévalorisée et réduite au seul univers médiatique : à l’hypnose d’une richesse virtuelle censée les habituer au manque et à la pénurie. Après la liquidation de tous les droits sociaux acquis lors des luttes de l’ancien prolétariat, pourquoi les féodalités mafieuses distribueraient-elles un revenu universel au peuple, alors qu’elles ont aujourd’hui les moyens technologiques de programmer son obsolescence ? Pour exercer leur domination, elles n’ont plus besoin de travailleurs socialement, syndicalement et politiquement protégés, mais de serfs « taillables et corvéables à merci ».

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7 juin 2020 7 07 /06 /juin /2020 16:19

11 / Les fictions de l'Écopolitique

Au début des années 1970, l’écopolitique était encore porteuse, comme l’ombre portée de son origine scientifique, d’une dimension rationnelle et critique. Elle a même été, à ses meilleurs moments, la seule rationalité critique d’un monde irrationnel.

Mais, fort rapidement, les mises en garde raisonnables de l’écopolitique contre les désastres présents et futurs n’ont plus été accompagnées d’une remise en cause du système économique qui en portait la responsabilité.

Depuis, son unique aspiration a été de purifier la marchandise, comme si une telle purification pouvait, à elle seule, sauver le monde de la catastrophe.

L’écopolitique s’est contentée de promouvoir la chimère d’une libre circulation assainie des marchandises et la vision angélique d’un libre-échange débarrassé des ses péchés originaux. Elle s’est abstenue de contester la pire part du monde qu’elle prétendait combattre, celle d’une économie devenue folle.

Là où l’écologie était en prise avec la totalité, l’écopolitique n’a fait que fortifier le totalitarisme marchand, en corrigeant tout au plus quelques abus de détail. Elle s’est bornée, dans ses meilleurs jours, à se rêver comme l’âme d’un monde sans âme.

Si l’écopolitique a vaincu, dans les médias et sur les réseaux sociaux, la satisfaction spectaculaire, c’est en contribuant au spectacle de l’insatisfaction. Si elle a médiatiquement et très illusoirement émancipé l’homme de l’abondance empoisonnée, c’est pour mieux l’habituer à la pénurie obligatoire.

Ses appels à la décroissance, tous dans le sens du renoncement et de la soumission, se sont accompagnés, avec les infinies variations imposées par le sujet, d’une constante volonté d’effacer la lutte des classes au profit de celle des genres.

Sous sa manifestation pratique, l’écopolitique est la pensée sublime de l’économie.

Ce que l’écopolitique ne dénonce pas, c’est qu’au nom de la toute-puissance de l’économie, la société du Chaos en soit venue à faire ouvertement la guerre aux humains ; non plus seulement aux possibilités de leur vie, mais à celles de leur survie.

Le recours à la justification mensongère est naturellement apparu dès les premiers symptômes de la décadence de la société spectaculaire, avec, par exemple, la prolifération des pseudo-sciences humaines. Mais la médecine alors pouvait encore se faire passer pour utile ; et ceux qui avaient vaincu nombre de maladies étaient autres que ceux qui ont bassement capitulé devant les radiations nucléaires, la chimie agro-alimentaire ou la liquidation de la santé publique.

Tant il est vrai qu’aujourd’hui la médecine n’a, bien sûr, plus le droit de défendre la santé de la population contre l’environnement pathogène, car ce serait s’opposer à l’État, ou seulement à l’industrie pharmaceutique.

Les experts scientifiques détachés au contrôle des post-citoyens soutiennent « doctement » que l’alimentation de la population s’est améliorée, que l’espérance de vie n’a cessé de croître, qu’on se soigne mieux aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Pourtant, le problème de la dégradation de la totalité de l’environnement naturel et humain a complétement cessé de se poser sur le plan d’une prétendue qualité ancienne, pour devenir radicalement le problème même de la possibilité matérielle de survivre dans un tel monde, et plus dramatiquement encore, qu’un tel monde puisse survivre.

Sur le mode de l’injonction paradoxale, les mêmes experts vont informer les post-citoyens, avec un ton d’autorité indiscutable, des déséquilibres et des dysfonctionnements qui s’établissent entre la nature et la société humaine ; de l’empoisonnement par des substances toxiques (pesticides, isotopes radioactifs, détergents, produits pharmaceutiques, engrais artificiels, plomb, mercure, fluor, substances carcinogènes et mutagènes etc…).

C’est-à-dire, de l’air de moins en moins respirable, de l’altération de l’eau des rivières, des lacs et des océans, des dangers de la radioactivité accumulée par le développement pacifique de l’énergie nucléaire, de l’envahissement de l’espace humain par des produits dangereux et difficilement dégradables, de la corruption des aliments, de la lèpre urbanistique qui partout s’est imposée au détriment des villes et de la campagne, et tout autant, de la pollution psychique.

Mais, pour parler de toutes ces pollutions, les experts se sentiront obligés d’en falsifier les causes, sinon les conséquences ; en culpabilisant, par exemple, les post-citoyens sur leurs comportements non-écologiques.

Ils éviteront pourtant de conclure que tout est dorénavant entré dans la sphère des biens économiques, même l’eau des sources et l’air des villes, c’est-à-dire que tout est devenu le mal économique, ce « reniement achevé de l’homme » qui atteint maintenant sa parfaite conclusion matérielle.

La plupart des commentaires sur le réchauffement climatique, les gaz à effet de serre, la pollution industrielle, la bio-diversité, l’extinction des espèces n’existent médiatiquement qu’en tant que contre-pied positif et faussement critique d’une idéologie dominante, strictement mortifère et nihiliste.

Tous ces commentaires, recensent une série de faits catastrophiques qu’il n’est plus possible de taire, ni d’entièrement falsifier.

Ils vont tous dans le même sens et témoignent d’un processus unique, à savoir que la Société du chaos est condamnée à plus ou moins brève échéance en raison même du modèle hypercapitaliste de sa do mination. Or, ce modèle est celui qui, précisément, lui a assuré jusqu’ici le contrôle à long terme de la planète. Elle ne peut donc en changer sans remettre en cause la permanence de son pouvoir, tant sa forme chaotique et destructrice est la forme naturelle de ce pouvoir.

La Société du chaos se trouve confrontée à une crise que tous leurs experts sont incapables de résoudre et dont tout leur fait penser qu’elle lui sera fatale.

La science, réduite à l’innovation, ne peut qu’accompagner la destruction du monde qui l’a produite et qui la tient ; mais elle est forcée de le faire avec les yeux ouverts. Elle montre ainsi, à un degré caricatural, l’inutilité de la connaissance sans emploi.

Par ailleurs, les maîtres de la Société du chaos n’ignorent pas que la simple vérité des nuisances, des risques présents et de l’issue fatale pourrait constituer un immense facteur de révolte, une exigence matérialiste des exploités.

La soi-disant « lutte contre la pollution » ne peut devenir une volonté réelle, qu’en transformant le système productif actuel dans ses racines mêmes. Et elle ne peut être appliquée fermement qu’à l’instant où toutes ses décisions, prises démocratiquement en pleine connaissance de cause, par les citoyens, seront à tout instant contrôlées et exécutées par les citoyens eux-mêmes.

« La révolution ou la mort », ce slogan n’est donc plus l’expression lyrique de la conscience révoltée, c’est le dernier mot de la pensée scientifique de notre siècle.



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30 mai 2020 6 30 /05 /mai /2020 16:53

10 / Le web profond et les réseaux sociaux

Internet, aujourd’hui, c’est le web, un exceptionnel outil de recherche et de connaissance, mais dont l’accès est de moins en moins facile, car de plus en plus bridé, privatisé et contrôlé. Internet aujourd’hui, c’est le web des forums de discussion, des blogs, des réseaux sociaux, des achats en ligne, de la Bourse en direct, des avatars, des leçons de fanatisme, de l’apologie de la marchandise, de la désinformation, de la calomnie, de l’intimité bafouée, des amitiés surnuméraires, de l’apologie du complot, du sexe en sous-texte.

Et la pire des critiques qu’on puisse y formuler, c’est de déclarer que tout cela est peut-être devenu « trop commercial ». Et l’éloge commun nous certifie qu’Internet a permis à des milliards d’individus davantage d’autonomie, la promesse d’une plus grande liberté, et la liberté elle-même.

Ordinateurs, tablettes, téléphones portables, tous interconnectés et désormais plus personne pour se perdre. Voici le monde de la totale transparence, auquel il est impossible d’échapper, et où chacun se sent d’autant plus libre qu’il est librement surveillé. Et tout le monde de supplier pour avoir le droit de porter les menottes du futur.

C’est le rêve formidable de la démocratie des maîtres de la société du Chaos, une loi martiale, librement consentie et étendue au monde entier.

Nous n’avons rien entendu ni vu venir. Au-dedans comme au-dehors, ce que nous prenions sur nos écrans pour une issue donnant sur l’extérieur est un artefact qui s’interpose entre nous et le réel. Et ce que nous voyons du monde, sur ces écrans, ne réfléchit qu’une image composite du néant.

Nous vivons au sein d’une monade numérique, aux trop nombreuses issues pour en avoir une seule d’utilisable, soumis à un flux continu qui nous submerge sous les informations invérifiables, les mensonges, les links, les amis, les images et les connaissances sans liens, sans relations, sans cohérence, sans pensée ni raison ; un flux qui méprise l’inconscient et brise toute résistance psychique ; un flux qui valorise la superstition, le mensonge et la paranoïa ; un flux qui ne nous laisse aucun répit et nous emporte, sans qu’il nous soit possible de résister, ni même de débattre.

Nous ne sommes plus capables d’écouter, silencieusement, pousser l’herbe de l’histoire ; ni d’interroger le passé pour mieux imaginer le futur ; ni même de faire le silence en nous.

Dans un monde déclaré sans avenir, les informations se succèdent dans un processus d’accumulation où l’oubli des premières et des dernières, semble déjà chasser le souvenir des suivantes. Ce qui domine cette incessante quête de la nouveauté se résume finalement à une permanente reproduction du même. Les variations qualitatives et quantitatives des données informatives ne sont que des simulacres, ou, pour le dire selon le lexique d’aujourd’hui, des effets de mode.

La surabondance de données informatives interchangeables et insignifiantes. Plus les post-citoyens sont soumis au flux de ces données, et plus la simple vérification de chacune d’entre elles leur devient inaccessible. Leur quantité seule les rend invérifiables et s’accompagne en retour d’une paupérisation informative croissante.

Au final, le développement exponentiel de ce flux n’est ni d’informer, ni de désinformer, ni même de distraire. Il s’agit seulement d’occuper un espace médiatique sous forme de discours, d’images, de sons, de 0 et de 1 ; de faciliter l’accès à une donnée informative invérifiable de plus.

Pour y parvenir, le monde de la « transparence achevée », le monde de la « fraternité numérique » n’utilise que deux valeurs : vrai et faux, oui et non, 0 et 1, like et no like. Après la ruine de leurs vies et de leurs désirs, même les rêves des post-citoyens ressortent du système binaire.

Face aux impostures d’une liberté light, comment les post-citoyens pourraient-ils échapper à leurs amis numérisés, à tous ces amis qui ne leur veulent que du bien. Pendant qu’ils pétitionnent (likes), qu’ils se mobilisent (likes), comment pourraient-ils comprendre, une bonne fois pour toutes, qu’il serait temps d’abandonner la proie et l’ombre ! Peuvent-ils imaginer qu’ils participent d’un inconscient collectif, d’une conscience collective, d’une noosphère, ou, plus poétiquement que le hasard objectif pourrait exister pour eux aussi ?

Pourtant, ce sont des femmes et des hommes, au service de quelques intérêts « bien compris », qui génèrent et consomment l’ensemble exponentiel de ces données informatives. Rien n’est destiné aux êtres humains qui ne soit l’œuvre des êtres humains eux-mêmes : en matière médiatique, comme ailleurs, les post-citoyens ne consomment que ce qu’ils ont produit consciemment ou laisser produire sans résistance.

Ils ont oublié que des femmes et des hommes ont vécu en des temps qui n’étaient pas réductibles aux seuls algorithmes boursiers ou aux divinations journalistiques, politiques, économiques, religieuses, voire même scientifiques : des temps étrangers aux « humanités numériques ». S’ils accueillent si facilement la réalité d’Internet, c’est peut-être parce qu’ils soupçonnent que rien n’est réel dans leurs propres vies.

La trace de ce qui a été perdu dans le souvenir, la trace de ce qu’il n’est plus possible de transmettre, se retrouve, comme inversé, comme la négation de tous nos souvenirs perdus, dans les processus contemporains de contrôle et de destruction de la mémoire.

Il s’agit là d’armes de guerre qui peuvent prendre deux formes disjointes, mais solidaires : celle du fanatisme islamique et celle de Google.

Le fanatisme islamique s’attaque à la mémoire humaine, aux traces historiques et archéologique qui contredisent le mensonge qu’il veut imposer.

Google attaque la Grande mémoire au nom d’un artefact de mémoire, au nom de la seule mémoire numérique. Cette mémoire, dont elle a le contrôle et l’usage, entend effacer au nom de l’obsolescence, jusqu’au souvenir de toutes les formes anciennes de transmission.

La mémoire numérique n’est pas destinée à l’histoire ; ce qu’elle autorise à survivre ne l’est que provisoirement, comme un condamné à mort qui attend quotidiennement l’exécution de la sentence.

Google et le fanatisme islamique veulent en finir avec l’histoire : ils ne comptent pas laisser d’archives. Leur domination du présent qu’ils rêvent éternel, est la seule histoire possible, celle qui précisément en est dépossédée. C’est toujours, actualisé par une commune barbarie, le même vieux fantasme dérisoire, sanglant et criminel de la fin de l’histoire.

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23 mai 2020 6 23 /05 /mai /2020 19:56


 

9 / L'innovation contre l'invention

Non contents d’accuser la science occidentale d’avoir été dénaturée par les Lumières, les agents du postmodernisme l’accusent également d’être colonialiste, raciste et sexiste. Intrinsèquement mauvaise, elle est tenue pour responsable de l’ordre social actuel, de ses divisions comme de ses modes de domination.

Après avoir conditionné les post-citoyens à considérer la culture comme un luxe inutile, les agents du postmodernisme veulent maintenant leur imposer de vivre dans un monde où l’expérimentation et la raison n’auront plus cours ; un monde où les conquêtes de la science seront ravalées au rang du récit et du mythe.

Voici une position qui doit réjouir les détenteurs du pouvoir : pouvoir dont ils pourront se réserver l’usage, la maîtrise et le monopole. Ils peuvent être reconnaissants à leurs agents très spéciaux lorsque ceux-ci proclament que « la science est un système qui, en lui-même, légitime l’autorité des chefs, et que tout défi à cette autorité doit se comprendre comme un défi à la rationalité ».

Ainsi est retournée la position critique qui autrefois associait l’éducation et l’émancipation. Un tel renversement n’est pas sans rappeler le penchant commun de toutes les religions à prêcher l’ignorance comme unique « salvation » des populations indisciplinées : l’encadrement psychique des contre-révolutions… Avec de tels axiomes, si subtilement formatés, le postmodernisme pourra parfaitement faire entrer Dieu dans l’ordre du connaissable.

Au terme d’une telle campagne, la société du chaos se précise chaque jour davantage : c’est un monde où l’hypertechnologie peut cohabiter sans conflit durable avec l’intégrisme et l’obscurantisme.

Dans le monde sans valeurs de l’hypercapitalisme, sinon celles de la domination et de l’enrichissement personnel, la recherche n’a pas échappé aux conséquences d’une conception aussi cynique du destin de l’humanité.

Elle est dorénavant réduite à la seule innovation et s’affiche l’ennemie de tous les rêves et désirs qui mènent à l’invention.

Ce qui peut encore être découvert de manière toujours partiale et partielle sera subordonné aux seuls critères de l’innovation, tels que les ont définis les « élites de la spéculation ».

Pourquoi des spéculateurs qui peuvent s’enrichir en quelques nanosecondes sur les marchés boursiers du monde entier, s’engageraient-ils à financer une recherche et des chercheurs dont les résultats sont incertains et où le hasard a parfois le dernier mot ? Ils les préfèrent à leur service pour concevoir les algorithmes boursiers les plus innovants, et non au service d’une science utile au bien commun.

Il en va de même des experts que l’hypercapitalisme a détachés au contrôle de la recherche. Ils récuseront les déclarations de principe des chercheurs qui soutiennent que le but de la recherche est dans la recherche elle-même. Et que la découverte est souvent la conséquence inattendue d’une expérience qui semblait voué à l’échec avant qu’une bifurcation soudaine ouvre sur de nouveaux horizons.

L’innovation est une nouveauté à qui l’on demande de reproduire avec d’infimes variations un univers déjà connu.

Pour être rentable, l’innovation ne doit perturber ni le spéculateur, ni le consommateur ; elle doit s’inscrire dans un espace où toute incertitude a fait place au familier, au connu, à la mise à jour, à l’éternelle faculté d’obsolescence.

Toute mise à jour innovante n’existe que par son effet d’annonce. Chaque jour, l’innovation révolutionne un monde qui demeure inchangé : le flux constant de l’innovation le conserve identique à lui-même, tout en affirmant médiatiquement le contraire, tout en le dégradant.

Les post-citoyens ne sauront jamais que toute innovation n’est au final que la copie d’une copie, dont la dégradation technique et humaine contient juste ce qu’il faut de différence pour qu’il leur soit impossible de remarquer tout ce qu’ils ont perdu d’essentiel, à chaque nouvelle mise à jour.

Le monde de l’hypercapitalisme n’admet de changements que ceux qui sont utiles au maintien de son apparence et de sa domination. Il sera donc hostile à toute transformation soudaine et non-programmée qui viendrait mettre en danger les lois qui lui donnent sa légitimité, celles du Marché. Ce sont ces lois qui déterminent ce qu’il faut chercher, ce qu’il est bon d’avoir découvert, quel type d’innovation sera immédiatement rentable.

C’est ainsi que fonctionne le modèle économique de l’informatique, des médias, des médicaments et plus généralement de toute la production marchande. La réduction de l’espérance de vie de toutes les marchandises produites est la première victoire de l’hypercapitalisme. Il n’en restera pas là. Pour répondre aux exigences du Marché, à la manière d’un « cheval de Troie », l’obsolescence programmée sera appliquée aux services publics et à l’ensemble des prolétaires inemployables.

Comme la démocratie, la science expérimentale a fait son temps sur terre.

En des temps plus instruits, l’art et la recherche devaient leur survie, puis une partie de leur développement, à leur indépendance et coexistaient difficilement avec l’autorité.

Lorsqu’un dirigeant chinois s’engage à financer massivement l’intelligence artificielle, il ne se comporte pas autrement qu’un dirigeant des GAFA. Tous deux pensent que l’immortalité leur est due et, qu’à ce titre, elle justifie l’accroissement des budgets d’une recherche si innovante. Tous deux savent que le monde, qu’ils détruisent inexorablement et qu’ils ne pourront jamais sauver, n’est plus vivable. Mais ils espèrent encore pouvoir y échapper, grâce à leurs ingénieurs.

Cette misérable fiction d’une évasion possible se remarque dans le bien étrange renouveau d’une conquête spatiale devenue extérieure à toute démarche strictement scientifique : elle n’est plus pensée pour élargir l’univers connu à tous êtres humains, mais pour permettre à quelques privilégiés de s’enfuir.

« Après moi le déluge ! » La célèbre formule, qui unit le sort du dirigeant chinois à celui des GAFA, résume assez bien leur commune conception du futur. Elle témoigne surtout du vide saisissant de leur pensée, et de leur incapacité à répondre stratégiquement aux contradictions et aux défis de la nouvelle époque.

L’innovation parle la langue de l’hypercapitalisme, et l’hypercapitalisme veut contrôler le futur, pas l’inventer.

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16 mai 2020 6 16 /05 /mai /2020 17:02

https://vimeo.com/419295085

Selon la doxa postmoderne, toutes les révolutions ont échoué et la philosophie des Lumières en est la seule responsable. La victoire de la bourgeoisie en 1789, l’échec des précédents assauts prolétariens, l’histoire même de la lutte de classes, sont délibérément ignorés ou falsifiés. Les penseurs révolutionnaires critiquant la révolution du point de vue de la révolution n’ayant plus d’existence officielle, Marx et Bakounine sont condamnés sans être lus ni étudiés.

Les Lumières faisant office de bouc émissaire, tous les malheurs du monde leur seraient imputables.

Ce que les agents du postmodernisme se doivent de saccager et de dévaloriser est précisément ce qui, dans les Lumières, définit la démocratie comme un objectif toujours en devenir.

Pour imposer leur vision contrefaite de l’histoire achevée, il leur faut nier le caractère progressiste du projet démocratique, qui suppose l’impermanence de toutes les formes politiques et la dépendance de celles-ci aux moyens de production d’une époque.

Ils y sont déjà largement parvenus puisque, sur ce fumier de la conscience, une partie de l’opposition de gauche, gauchiste, verte et altermondialiste reprend à son compte la critique des Lumières et s’approprie le fumeux méta-récit du « mâle européen blanc hétéronormé » et qualifie de « réinvention de la démocratie et de la liberté » ses attaques en règle contre la démocratie et la liberté.

Ainsi réécrite, l’histoire européenne devient exclusivement barbare, coloniale et misogyne, entretenant chez les Européens d’aujourd’hui un profond et très religieux sentiment de culpabilité et de honte.

Les mêmes qui réclament une étude exhaustive de la traite négrière pour mettre ainsi un terme à une omerta qui a trop duré espèrent en finir, le plus tôt possible, avec l’histoire des luttes et des utopies révolutionnaires. Pourquoi devraient-ils faire la lumière sur des événements qui nous confirment que le totalitarisme et l’hypercapitalisme ne sont pas des fatalités ? Ils cherchent des coupables, pas la liberté.

Peut-on encore comprendre dans nos temps postmodernes que toute liberté accordée comme un passe-droit à une minorité n’est qu’une autre manière de reproduire l’inégalité et l’injustice, un autre nom donné au système de la domination et à sa reproduction ?

Il ne s’agit pas seulement de dénoncer les cultures qui justifient la barbarie, mais de combattre ce qui, dans la culture démocratique, en porte encore la marque.

À l’inverse d’une tendance contemporaine qui, au nom du relativisme culturel, aimerait nous faire douter que les libertés octroyées par les Lumières et la Révolution française soient supérieures à celles de l’Ancien Régime ; que le droit de vote soit un progrès par rapport au servage, ou que la liberté des femmes à disposer de leur corps puisse être une conquête ; il faut réaffirmer, contre tous les intégrismes, que si toutes les races et tous les peuples sont égaux, il est des cultures plus libres que d’autres, et par là même meilleures du point de vue de cette liberté. Ce que furent, en leur temps, les « Lumières arabo-andalouses » face à la chrétienté.

C’est toujours confronté à l’analyse d’une situation historique déterminée, en prise avec le réel, que la formulation théorique d’un projet de changement radical de la société a pu se développer. Ainsi en est-il de la laïcité, de « l’universalisme concret » qui n’étaient pas pour un penseur politique des « Lumières radicales » comme Condorcet des concepts abstraits, mais des réponses politiques concrètes à des situations tout aussi concrètes. Pour lui, il existait un réel vérifiable qui concernait tous les êtres humains et non des classes d’êtres particuliers selon leurs genres ou leurs races. La liberté était une et indivisible et ne tolérait aucune liberté particulière au nom d’un « différencialisme » de classes, de genres ou de races.

Pour justifier sa dénonciation de l’idée de progrès, le postmodernisme invoque l’état critique du présent, mais sans jamais mentionner qu’il serait possible d’y mettre un terme. Plus question d’inventer un autre futur, d’imaginer un destin commun plus attractif, car plus libre, plus égalitaire et plus fraternel. Comme si, fatalement, les conditions faites aux post-citoyens devaient rester les mêmes, éternellement. C’est toujours la même argumentation falsificatrice d’un temps corrupteur, d’un temps qui abîme les êtres et les situations et ne laisse aucun espoir. Un tel fatalisme tourne le dos à l’esprit des « Lumières radicales », pour qui le temps était au contraire constructeur. À la condition, bien sûr, de faire l’effort d’admettre une autre représentation du futur.

L’universalisme démocratique, l’universalisme « concret » des «Lumières radicales » ne se réduit pas à la démocratie représentative ; sa forme directe et libertaire en est une expansion, celle du champ de la liberté politique.

Ainsi, lorsque la démocratie directe s’oppose à la démocratie représentative, elle le fait au nom de la démocratie : elle en discute l’insuffisance. La conception libertaire de la démocratie, sa forme directe, est un approfondissement de l’idée démocratique et non sa réfutation ; elle n’en est pas l’antithèse, mais le dépassement pratique de sa forme représentative, sa figure en devenir. Une dénégation en actes du nationalisme, de la religion, de l’argent et de l’échange marchand qui s’affirme au nom de la liberté.

Il ne faut laisser aucun répit aux discours qui réhabilitent l’asservissement de la femme sous les formes conjointes de la barbarie religieuse, ou de l’aliénation marchande.

C’est précisément parce que notre présent est la catastrophe, qu’il convient d’en revenir, de manière critique, au noyau émancipateur des Lumières. Comme l’écrivait Adorno, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : « Nous pouvons y voir une possibilité de défendre la civilisation de l’irruption de forces barbares et régressives, mais aussi une nouvelle approche conceptuelle pour comprendre les conditions sociales qui ont favorisé la catastrophe et qui, aussi longtemps qu’elles n’auront pas été identifiées puis supprimées, laisseront planer à l’horizon du paysage social la menace de la rechute. »

Qui, de nos jours, aura encore le courage intellectuel de revendiquer l’héritage des Lumières arabo-andalouses comme préfiguration des Lumières européennes ?


 

Figures du féminisme révolutionnaire : de la Commune de Paris à la Révolution espagnole

Louise Michel 1830/1905

Elle resta, du 3 avril à la dernière semaine de la Commune avec les compagnies de marche du 61e bataillon. Lors de cette dernière semaine, elle défendit la barricade qui se situait de l’entrée de la Chaussée Clignancourt.

 

Paule Minck, née Adele Paulina Mekarska 1839/1901

En 1868, elle fonda une organisation mutualiste féministe révolutionnaire nommée la « Société fraternelle de l’ouvrière ».

Elle fit partie, avec Louise Michel, du Comité de vigilance de Montmartre.

Propagandiste énergique, elle anima des clubs révolutionnaires aussi bien à Paris qu’en province ; c’est là qu’elle se trouvait, envoyée en mission par la Commune, pendant la Semaine sanglante.

 

Élisabeth Dmitrieff 1851/1910

Lors de la Commune, elle vint à Paris comme représentante du Conseil général de l’AIT. Elle fut membre du Comité central de l’Union des femmes et s’occupa de l’organisation des ateliers coopératifs.

Lors de la semaine sanglante, elle défendit les barricades du Faubourg Saint-Antoine.

 

Anna Jaclard, née Anna Vassilievna Korvine-Kroukovskaïa 1843/1897

Pendant la Commune, elle fut membre du Comité de vigilance de Montmartre aux côtés de Louise Michel et de Paule Minck.

Elle fonda avec André Léo le journal « La Sociale ».

 

Marguerite Victoire Tinayre 1831/1895

Pendant la Commune, elle fut nommée inspectrice des écoles de filles du XIIème arrondissement.

Attachée à la laïcité, elle participa à l’expulsion des religieuses des établissements scolaires.

 

Marguerite Lachaise 1832/ ?

Cantinière du 66e bataillon, elle fit le coup de feu dans la plaine de Châtillon.

Hortense David vers 1835/ ?

Elle fut« matelot pointeur » à la marine de la Commune porte Maillot.

 

Elisa Rétiffe vers 1833/ ?

Cantinière au 135e bataillon, elle défendit la barricade de la rue Bellechasse.

 

Eulalie Papavoine 1846/ ?

Elle prit part aux combats de Neuilly, Issy, Vanves et Levallois.

Nathalie Le Mel 1826/1921

Sous sa direction, un groupe d’une cinquantaine de femmes construisit et défendit une barricade place Pigalle.

 

Léontine Suétens 1846/ ?

Cantinière au 135e bataillon, elle prit part à toutes les sorties de son bataillon et fut blessée deux fois.

 

Victorine Rouchy 1839/1921

Le bataillon « Les Turcos de la Commune » la félicita dans une lettre collective : « …du courage qu’elle a montré en suivant le bataillon au feu et de l’humanité qu’elle a eue pour les blessés. »

 

Victoire Léodile Béra dite André Léo 1824/1900

Romancière et journaliste, André Léo fut l’une des personnalités les plus essentielles des mouvements féministe et anarchiste.

Membre de l’AIT, proche de Bakounine, elle critique l’autoritarisme de Marx. En 1871, elle publia « La Guerre sociale » qui retrace l’histoire de la Commune.

Lors de la semaine sanglante, elle défendit une barricade aux Batignolles.

Commentaire en voix-off :

André Léo s’est insurgée contre la non-prise en compte des femmes dans l’organisation et la défense de la Commune.

« Il y a dans Paris un très grand nombre de républicains, très forts en logique, et que l’amour des femmes pour la République indigne et désole. Les faits de ce genre, que l’histoire, à d’autres époques, enregistre comme héroïques, leur semblent admirables dans le passé, mais tout à fait inconvenants et ridicules aujourd’hui. »

Pour André Léo, une telle attitude ne pouvait conduire qu’à l’échec.

 

Voltairine de Cleyre 1866/1912

Anarchiste, féministe, brillante conférencière, auteur d’articles et d’essais, elle fut selon Emma Goldmann : « la femme anarchiste la plus douée et la plus brillante que l’Amérique ait jamais produite. »

Elle défendit l’action directe comme seul moyen de parvenir à la révolution sociale.

Féministe radicale elle dénonça dans son essai « L’Esclavage sexuel » le viol légal qu’était à ses yeux l’institution du mariage. Combattant toute sa vie le règne de la domination masculine, pour elle, il ne pourrait y avoir de société libre sans une responsabilisation et une rébellion des femmes.

 

Emma Goldman 1869/1940

Anarchiste, féministe, brillante conférencière, auteur d’articles et d’essais, elle fut l’une des personnalités les plus essentielles des mouvements anarchiste et féministe. Elle joua un rôle déterminant dans le développement de la pensée anarchiste en Amérique du Nord et en Europe dans la première moitié du XXe siècle.

Son féminisme libertaire était aussi radical que ses autres engagements : elle prôna la contraception, l’égalité des sexes et l’union libre. Elle dénonça la domination masculine, l’organisation patriarcale de la société et l’institution du mariage. Elle fut l’une des pionnières du combat pour le contrôle des naissances

En 1911, avec Voltairine de Cleyre, elle participa à la création, à New York, de la première des Écoles modernes, le Ferrer Center (en hommage à Francisco Ferrer, le pédagogue libertaire espagnol.

Lors de la Première Guerre mondiale, elle milita contre la conscription récemment instaurée aux États-Unis, et s’engagea dans la « No Conscription League » qui organisait des réunions antimilitaristes contre la guerre.

Condamnée, elle passa deux années en prison, avant d’être expulsée, bannie et déchue de sa citoyenneté américaine, vers la Russie en décembre 1919, avec deux cent quarante-sept autres révolutionnaires. Elle fut qualifiée par J. Edgar Hoover, comme « l’une des femmes les plus dangereuses d’Amérique ».

Son exil forcé lui permit d’être témoin et acteur direct de la révolution russe. Dans « Mon désenchantement en Russie », elle dénonça le nouveau totalitarisme soviétique qui, comme à Cronstadt, « étouffe les soviets avec sa brutalité organisée ».

En 1936, invitée à Barcelone par la CNT et de la FAI, elle découvrit, pour la première fois de sa vie, communauté autogérée selon les principes pour lesquels elle s’était toujours battue.

Elle déclara : « Le travail constructif entrepris par la CNT et la FAI constitue une réalisation inimaginable aux yeux du régime bolchevique, et la collectivisation des terres et des usines en Espagne représente la plus grande réussite de toutes les périodes révolutionnaires. De plus, même si Franco gagne et que les anarchistes espagnols sont exterminés, le travail qu’ils ont commencé continuera à vivre. »


https://vimeo.com/419295085

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9 mai 2020 6 09 /05 /mai /2020 20:54

7 / La réécriture de l'histoire 
La novlangue postmoderne dissout tout ce qui pourrait, à partir de l’analyse des conditions existantes, inciter à la révolte. Elle tente de liquider toute référence historique au nom de la critique des grands récits fondateurs. L’invention du micro-récit est son arme de dissuasion massive ; celle qui disqualifie toute analyse critique de la société marchande et conforte le jugement généralement admis qu’on ne peut plus rien changer collectivement, sous peine de sombrer dans un nouveau totalitarisme. 
Tout ce qui a été vécu sous l’angle de l’individu et de la raison, tout ce qui tendait à une libre production de l’histoire s’est dissous au profit d’une organisation néoféodale de la société dont le processus semble irréversible. 


Le préliminaire au programme politique minimum du postmodernisme est la réécriture de l’histoire : la suppression du passé passe par sa réinvention. Ce qui est réellement arrivé ne peut avoir existé et doit être effacé de la mémoire des hommes. 
À la surface de la société du chaos ne subsistent que des fragments d’événements de plus en plus difficiles à dater. Cette entreprise d’éradication de l’histoire est directement au service d’un projet politique. 
Comment les postmodernes pourraient-ils admettre que la communauté humaine soit unie par une même histoire, alors que toute leur idéologie et leurs simulacres tentent de nous prouver le contraire, en nous certifiant qu’il n’existe que des fragments de connaissance historique, fatalement ennemis ? Comment toléreraient-ils que les hommes se reconnaissent dans une histoire qui cherche la vérité des faits et n’instrumentalise pas les victimes pour trouver un coupable ; une histoire qui refuse qu’on légifère en son nom sur les horreurs et les crimes du passé ? 
Un des aspects essentiels du postmodernisme est sa dissolution du langage ancien qui reposait, comme la pensée scientifique, sur la logique, la raison et la vérité pratique. Cette dissolution s’est accompagnée de la surproduction de micro-récits irrationnels. 
Partant du prédicat qu’il ne saurait exister de recherche de la vérité, ces micro-récits ont tous comme point commun de vouloir réduire les faits et le réel à des fictions langagières. 
Dans un univers si parfaitement inhumain, les penseurs postmodernes peuvent déclarer en toute impunité – sans jamais être démentis par la gauche ni par l’extrême gauche – que le langage révolutionnaire est sexiste, et que la révolution conduit inévitablement au colonialisme ; juger obsolète la lutte de classes et inventer un nouveau et très fictif micro-récit qui justifiera leur assertion.
La réécriture postmoderne de l’histoire est unilatérale et pervertit toute approche du langage par la raison : elle récuse la liberté universelle au nom du relativisme culturel et affiche sa haine de la démocratie au nom du pluralisme des modèles d’oppression. 
Le rejet postmoderne de toute histoire révolutionnaire ne s’explique que par le refus de l’universalisme anticlérical de celle-ci. Que le prolétariat soit absent de son argumentation n’est pas innocent : on y sent l’épouvantable odeur d’œuf pourri de Dieu.
Au centre inavouable de la politique postmoderne, on trouve la déconstruction, non des procédés de l’aliénation mais des motifs de la révolte.

Figures du féminisme révolutionnaire : des Lumières à la Révolution française
Etta Palm d’Aelders 1743/1799
Hollandaise, espionne et féministe néerlandaise, elle déploya une remarquable activité en faveur de l’émancipation des femmes et de l’égalité des femmes et des hommes.
Elle fut proche d’Olympe de Gouges et soutint ses idées. 
Le 30 décembre 1790, elle lut, devant le « Cercle Social » un discours sur « L´injustice des Lois en faveur des Hommes, aux dépens de Femmes ». 
Le 1er avril 1792, accompagnée d’un groupe de femmes elle intervint à l’Assemblée pour revendiquer au nom des femmes, le droit à l’éducation, la majorité à 21 ans, la liberté politique, l’égalité des droits, la loi sur le divorce. 

Olympe de Gouges 1748/1793
Féministe révolutionnaire, elle rédigea la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ». Elle fut partisane de l’abolition de l’esclavage ; sa pièce « L’esclavage des noirs, ou l’heureux naufrage » lui valut de multiples menaces de mort, notamment de la part des propriétaires d’esclaves. 
À l’avant-garde du combat féministe, elle revendiqua l’égalité des droits civils et politiques des femmes : elle réclama l’instauration du divorce, la suppression du mariage religieux, la mise en place d’un contrat civil qui prendrait en compte les enfants nés d’une « inclination particulière », la création de maternités,
Après l’arrestation des Girondins, en juin 1793, elle qualifia Marat, d’« avorton de l’humanité », et accusa Robespierre de conduire la Révolution vers la dictature. 
Arrêtée, elle fut guillotinée le 3 novembre 1793. 
Elle déclara : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune. »

Louise-Félicité de Keralio 1758/1821
En 1789, en fondant le « Mercure National et étranger ou journal politique de l’Europe». elle fut la première femme à être rédactrice en chef d’un journal. 
En décembre 1790, elle publia un article intitulé « Sur l’influence des mots et le pouvoir du langage » où elle proposait d’introduire le tutoiement en signe de fraternité. Elle fut une des premières femmes à utiliser un trait d’union entre son nom de naissance et celui de son mari. Elle serait également à l’origine de la disparition de Monsieur ou Madame au profit de citoyen et citoyenne. 
Très liée à Danton, Etta Palm et Camille Desmoulins, elle anima les « Sociétés de femmes », la « Société fraternelle de l’un et l’autre sexe », et se battit contre l’esclavage colonial.
Elle fut une pionnière de l’activité politique féminine. 

Mary Wollstonecraft 1759/1797
Féministe anglaise, elle participa à un groupe qui comprenait William Godwin, Thomas Paine, William Blake et William Wordsworth. Dans son essai, « Défense des droits de la femme », elle réclama l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’éducation. Pour elle, le système éducatif transformait délibérément les femmes en êtres frivoles et incompétents. Et qu’un système éducatif offrant aux filles les mêmes avantages qu’aux garçons formerait des femmes qui seraient alors capables d’accéder à toutes les professions. 
Elle affirmait que si de nombreuses femmes étaient sottes et superficielles, la raison n’était pas à chercher dans une déficience naturelle mais dans le déni d’éducation que leur imposait les hommes. 
En 1797, elle épousa Godwin. Ce mariage heureux fut de courte durée : elle mourut onze jours après avoir donné naissance à Mary (qui épousera Shelley et rédigera Frankenstein).
Elle déclara : « Endoctrinées dès leur enfance à croire que la beauté est le sceptre de la femme, leur esprit prend la forme de leur corps et, enfermé dans cette cage dorée, ne cherche qu’à décorer sa prison ».

Théroigne de Méricourt 1762/1817
En 1789, elle fut la seule femme à suivre les débats à l’Assemblée. Dans les tribunes. vêtue  en amazone, ses ennemis la décrivaient comme une bacchante sanguinaire.
Accusée d’avoir participé aux journées des 5 et 6 octobre 1789, elle quitta Paris et se réfugia à Liège. Tentant de revenir elle fut enlevée par un groupe d’émigrés qui la livrèrent aux Autrichiens. Cette séquestration accrut sa popularité à Paris qu’elle retrouva fin 1791. Qualifiée de « catin du peuple » elle devint la cible des journalistes contre-révolutionnaires. 
Au printemps 1792, elle tenta de créer une « phalange d’amazones » et, le 10 août 1792, participa à l’invasion du palais des Tuileries par le peuple de Paris.
Le 13 mai 1793, accusée de soutenir Brissot, le chef girondin, elle fut prise à partie par des « tricoteuses » qui la traitant de brissotine, la dénudèrent et la fessèrent publiquement. La violence de cette agression fut minimisée et tournée en dérision dans la presse montagnarde. Elle échappa à la guillotine, mais sombra dans la folie.

Sophie de Condorcet 1764/1822
Avant la Révolution et pendant la Révolution, son salon fut le centre naturel de l’Europe pensante. À l’inverse de celui de Madame de Staël qui affichait les idées chrétiennes et libérales de la monarchie constitutionnelle, le sien attirait tous ceux qui étaient favorables à la libre-pensée, à la Révolution et à la République. Toute nation, comme toute science y trouvait sa place ; tous les étrangers qui, après avoir reçu les théories de la France, venaient là en chercher, en discuter l’application. 
C’était l’Américain Thomas Paine, l’Anglais Williams, l’Écossais Makintosch, le Genevois Dumont, l’Allemand Anacharsis Cloots. Tous y venaient, Beaumarchais, Chamfort, Chénier, La Fayette, Volney : tous y étaient confondus. Pendant les années décisives pour l’avenir de la République, l’ardeur révolutionnaire n’en chassa pas l’esprit. 
Entre 1801 et 1804, elle publia vingt et un volumes des œuvres de Condorcet. Outre ses remarquables « Lettres sur la sympathie », elle traduisit Thomas Paine et Adam Smith.
Un jour que Bonaparte, affirmait ne pas aimer « les femmes qui se mêlent de politique », Sophie de Condorcet lui répondit : « Vous avez raison, Général ;­ mais, dans un pays où on leur coupe la tête, il est naturel qu’elles aient envie de savoir pourquoi.

Claire Lacombe 1765/ ?
Actrice, féministe révolutionnaire, proche des Enragés elle milita contre l’accaparement des richesses, et pour le droit des femmes. En mai 1793 elle fonda avec Pauline Léon la « Société des républicaines révolutionnaires » qui revendiquait pour les femmes le droit de porter les armes. Elle joua un rôle important lors des journées du 31 mai et du 2 juin 1793, en poussant à l’insurrection. 
Elle exigea par une pétition que tous les nobles de l’armée soient destitués, et en appela à l’épuration du gouvernement. Elle fut arrêtée. Le 7 octobre 1793, elle se présenta à la barre de la Convention pour réfuter les arguments de ses accusateurs, et dénoncer l’oppression dont étaient victimes les femmes : « Nos droits sont ceux du peuple, et si l’on nous opprime, nous saurons opposer la résistance à l’oppression ».
Des femmes de la Halle accusèrent les « Républicaines révolutionnaires » de les avoir forcées à porter le bonnet rouge, réservé aux hommes. Ce fut le prétexte, pour interdire tous les clubs féminins. 

Pauline Léon 1768/1838
Elle participa à la prise de la Bastille, et fut membre du « Club des Cordeliers », et de la « Société fraternelle des patriotes de l’un et l’autre sexe ».
Elle pétitionna en faveur de l’armement des femmes. Le 6 mars 1792, elle se rendit à la tête d’une députation de citoyens à la barre de l’Assemblée Législative, où elle lut une adresse signée par 320 Parisiennes demandant la permission d’organiser une garde nationale féminine. Elle signa la pétition de la « Société patriotique du Luxembourg » qui réclamait la mort du roi. Elle fonda en mai 1793, avec Claire Lacombe la « Société des citoyennes républicaines révolutionnaires », cercle exclusivement féminin.
Le 2 juin 1793, elle conduisit une délégation de « Citoyennes républicaines révolutionnaires » qui souhaitent être admises à la Convention. Le 30 octobre, toutes les sociétés de femmes furent dissoutes. 
Manon Roland, née Jeanne Marie Phlipon 1754/1793
Pur produit des Lumières et de la Révolution, elle fut un parfait exemple de l’impossibilité faite alors aux femmes d’avoir un rôle politique.
Elle accueillit dans son salon Brissot, Buzot, Robespierre, et se rangea du côté girondin, dont elle devint l’égérie. Profitant de son statut, elle ouvrit à son mari, les portes du ministère de l’Intérieur où elle joua un rôle essentiel. Quand elle ne tenait pas la plume pour répandre ses idées, on lui reprochait d’être celle de son époux.
Après les massacres de Septembre, par la voix de Buzot, (les femmes n’ayant pas accès à la tribune) elle s’en prit de plus en plus violemment à Danton  sachant d’où venaient les attaques, s’écria : « Nous avons besoin de ministres qui voient par d’autres yeux que ceux de leur femme ». 
Son ministre de mari démissionna et quitta Paris. Elle resta sur place, fut arrêtée, embastillée à la Conciergerie, avant de monter à l’échafaud, avec une dignité remarquable, le 8 novembre 1793.
 

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2 mai 2020 6 02 /05 /mai /2020 17:38

6 / Le retour de la religion

Les 20 et 21 avril 1792, Condorcet présentait à l’Assemblée nationale, son Rapport sur l’instruction publique. Venu donc d’un temps que l’histoire postmoderne tente d’effacer de la mémoire des hommes, ce Rapport était un plaidoyer pour une instruction libre, égalitaire et mixte, sans influence ni contrôle de l’État et de la religion.

« De quelque opinion que l’on soit sur l’existence d’une cause première, sur l’influence des sentiments religieux, on ne peut soutenir qu’il soit utile d’enseigner la mythologie d’une religion sans dire qu’il peut être utile de tromper les hommes.

Si le romain veut faire enseigner sa religion d’après ce principe, le mahométan doit, pour la même raison, vouloir faire enseigner la sienne.

Peuvent-ils dire : La mienne est la seule vraie ? Non, car la puissance publique ne peut être juge de la vérité d’une religion. C’est donc un objet que les générations présentes et futures se doivent de laisser sans aucune influence étrangère à la raison et à la conscience de chaque individu. »

Condorcet proposait, pour s’opposer à l’obscurantisme religieux de proscrire l’enseignement de toutes les mythologies religieuses. Il formulait ainsi, en quelques lignes d’une actualité toujours brûlante, le principe même de la laïcité.

Jusqu’à ces dernières décennies, la laicité, inspirée par les « Lumières radicales », a permis à toutes les religions, à toutes les formes de spiritualités de cohabiter pacifiquement. Dès son instauration, la séparation de la religion et de l’État a récusé toute forme d’injonction divine, toute obéissance à un dieu unique, omnipotent et révélé.

Définir comme musulmans ou chrétiens des femmes et des hommes aux origines géographiques et culturelles multiples, c’est les priver de leur identité. C’est encourager un archaïsme de triste mémoire qui s’attaque à la conception laïque et démocratique de l’histoire. La réduction des êtres humains à leur origine religieuse est une négation en actes des conceptions matérialistes fondant les projets républicains, qu’ils soient d’inspiration libérale, socialiste ou libertaire.

C’est au nom du droit à la différence, de l’égalité de toutes les cultures, que le postmodernisme a transformé toute critique contre la religion en crime raciste. Il est ainsi parvenu à faire croire à une partie de la gauche et de l’extrême gauche que le refus du voile islamique était assimilable à de la xénophobie ou à une nostalgie coloniale, et non une critique de la religion oppressant les femmes.

On voit comment et par quels types de « déconstruction des discours », les immigrés d’Afrique du nord et d’Afrique noire, et jusqu’à leurs enfants et petit enfants, sont réduits à leurs seules origines religieuses. Il faut les convaincre que leur histoire et leur culture se résument à un rôle passif de victimes du passé colonial européen. Ils sont ainsi sommés de devenir des fidèles et de se soumettre à une nation musulmane qui n’existe nulle part, mais impose partout son projet liberticide. Leur seule existence « positive » passe par la religion. On les tient à l’écart d’une culture anti-islamique en terre d’islam car une telle reconnaissance impliquerait que l’Europe n’ait pas eu le monopole des Lumières.

Analyser la religion en termes de relativisme culturel et de différencialisme, c’est nier que sans contre-pouvoir laïque et effectif la tendance naturelle de toute religion est l’intégrisme. C’est rendre inattaquable la religion et ses conséquences prévisibles et fatalement mortifères.

En France, comme ailleurs, le manque de lucidité de la classe politique a cautionné le retour en force de l’aliénation religieuse. Il en va de même d’une gauche historique qui n’a cessé, ces dernières décennies, de bafouer ses anciennes valeurs ; d’une gauche qui a abandonné simultanément l’usage de la raison, la pensée dialectique et son héritage historique ; d’une gauche amnésique, incapable de comprendre qu’attaquer le port du foulard islamique, c’est aussi s’attaquer aux néo-conservateurs américains qui, au nom du « différencialisme », sont parvenus à faire interdire l’enseignement des thèses évolutionnistes. Après la construction délirante d’un racisme « anti-musulman », à quand la dénonciation d’un « racisme anti-chrétien » ?

L’imaginaire postmoderne est sous contrôle : plus il en appelle à la différence, au nom de la liberté et de la singularité, plus il aspire à légitimer durablement le modèle de l’économie marchande. C’est un imaginaire dont la fonction symbolique intègre une forte dose de fondamentalisme religieux et quelques vagues expérimentations sexuelles réservées à des privilégiés payant ainsi leur soumission. À l’image de l’ensemble des rapports sociaux de la vie quotidienne colonisée, cette liberté accordée à la jouissance est une liberté conditionnelle.

Pour étendre sa domination, la société du Chaos favorisera sans relâche toutes les formes d’intégrismes, puisqu’ils sont les garants du retour à l’obscurantisme que réclame sa souveraineté.


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25 avril 2020 6 25 /04 /avril /2020 17:29


 

5 /Des combats féministes et homosexuels au totalitarisme LGBT

Le discours postféministe s’appuie sur l’improbable rencontre des revendications du black feminism avec celles des homosexuels, bisexuels, et transgenres...).

En associant leurs luttes et en les mettant sur un même plan, on impose progressivement l’idée que le black féminism ne ressort pas du combat féministe mais de l’histoire du colonialisme, et que les LGBT n’ont rien à voir avec le féminisme essentialiste mais tout avec l’impérialisme hétérosexuel qui sépare les genres.

Après la « déconstruction » de l’héritage féministe soumis au micro-récit primitif de la faute du « mâle blanc hétéronormé », la lutte contre le patriarcat et la domination masculine a été remplacée par un combat contre l’hétérosexualité.

On peut mesurer l’écart entre le « féminisme historique » et le postféminisme à leur priorité. Le premier s’oppose frontalement à la domination masculine, et ses revendications, par-delà la reconnaissance d’une réelle égalité politique et économique avec les hommes, visent à une pleine et entière liberté du corps désirant. Chaque fois que le « féminisme historique » a engagé une lutte, elle a été dirigée contre l’ordre établi et un système social qui définit la femme comme dominée.

A l’inverse, l’ennemi principal du postféminisme n’est plus le système politico-économique fondé sur la domination masculine, mais le féminisme lui-même, et par-delà le féminisme, l’existence même d’un sujet femme.

Dès le début des années 1970, les militantes et militants du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) ont revendiqué le droit de faire partie intégrante de la société. Mais ils refusaient de devenir un groupe minoritaire confinés aux seules limites de leur identité sexuelle et bénéficiant de droits civiques spécifiques. L’exact opposé des politiques identitaires et du communautarisme dont les gays, postféministes, queers et autres LGBT font de nos jours la promotion.

Comme une anticipation inversée de notre époque, deux militants du FHAR, Maës et Michel écrivaient : « Une lutte fratricide est à mener contre ceux d’entre nous qui auront refusé leur libération et préféré l’intégration dans la société bourgeoise. Cette dernière restera répressive de par sa construction, la présence immémoriale et oppressive de la cellule familiale (que les homosexuels ne recréent pas) avec son assujettissement à la reproduction, au pouvoir patriarcal et au mariage légal ».

Le mariage pour tous ne faisait pas partie du programme politique des membres du FHAR, qui voulaient en finir avec l’institution même du mariage. Nul doute que la location des mères porteuses leur aurait semblé une infamie capitaliste.

Un autre militant anonyme du FHAR observait : « Ce qu’on avait à dire était subversif : revendiquer notre homosexualité, c’était vouloir détruire les fondements essentiels de notre société patriarcale, mais c’était aussi redéfinir complétement les rapports entre les corps, car la sexualité dominante, hétérosexuelle et capitaliste, c’était le culte du phallus. »

De fin 1972 à février 1974, le processus de décomposition du FHAR allait préfigurer le développement du mouvement gay et le retour du culte du phallus dans ce qu’il peut présenter de plus réactionnaire et antiféministe.

L’arrivée massive de nouveaux militants masculins transforma le FHAR en lieu de drague et réduisit la libération sexuelle à la possibilité d’avoir des partenaires sexuels multiples.

Cette vision machiste de la sexualité et de l’amour qui revalorisait le pire de la domination masculine ne laissait plus aucune place aux femmes qui se sentirent dépossédées de l’organisation qu’elles avaient pourtant elles-mêmes fondée. Les Gouines rouges, qui reprochaient aux militants masculins leur mainmise sur le groupe, firent scission. Le FHAR ne survécut pas longtemps à leur départ. Le conformisme gay pouvait se développer et la haine des femmes prospérer avec.

Sur le modèle LGBT+, privilégier l’exception, et lui conférer un statut médiatique faussement rebelle, prête moins à conséquence que de revenir sur le sort des femmes et des homosexuels dans les pays dominés par l’intégrisme ; que de dénoncer la domination masculine qui se renforce dans les sociétés occidentales. Mais il est vrai que s’engager dans de tels combats peut conduire à de vrais changements.


 

Figures du féminisme révolutionnaire au XIXe siècle

Anna Wheeler 1785/1848 ou 1849

Elle fut une pionnière en matière d’égalité des sexes. Dans la continuation de Mary Wollstonecraft, elle dénonça la subordination des femmes et rejeta l’idée suivant laquelle l’infériorité de leur condition sociale serait « naturelle ».

En 1825, elle publia l’un des textes fondateurs du féminisme socialiste, « L’Appel de la moitié du genre humain, les Femmes, contre les prétentions de l’autre moitié, les Hommes, à les maintenir dans une situation d’esclavage politique, civil et domestique ».

 

Anne Knight 1786/1862

En 1847, elle réalisa le premier tract pour le droit de vote des femmes. Elle donna, en France, une série des conférences sur l’immoralité de l’esclavage. Elle participa à la révolution de 1848. Avec Jeanne Deroin, elle défia l’exclusion des femmes des clubs politiques. Elle critiqua les dirigeants de mouvements qui soutenaient plus la lutte des classes que celle des femmes.

En 1851, elle co-fonda, avec Anne Kent, l’« Association Féminine Politique de Sheffield », première association britannique à militer pour le suffrage des femmes.

 

Eugénie Niboyet 1796/1883

En 1832, avec des saint-simoniennes, elle participa au premier titre écrit intégralement par des femmes : « La Femme libre ». Elle se rapprocha du mouvement de Charles Fourier qui présentait le traitement des femmes comme « la mesure la plus vraie du progrès social ». Elle y rencontra Flora Tristan.

En juillet 1836, elle fonda « La Gazette des Femmes », en mars 1848, « La Voix des Femmes », le premier quotidien français féministe. Le journal était sous-titré « Journal socialiste et politique, organe des intérêts de toutes ».

Commentaire en voix-off :

Le 6 avril, « La Voix des Femmes » propose la candidature de George Sand à l’Assemblée constituante. Sand désavoue cette initiative et juge durement ces femmes qu’elle affirme ne pas connaître. La presse et les caricaturistes s’en prennent violement à Eugénie Niboyet et aux journalistes de « La Voix des Femmes ». La « réaction » médiatique est telle que le gouvernement décide la fermeture des clubs de femmes. Le 20 juin, Eugénie Niboyet, cesse la publication de « La Voix des Femmes », et les féministes se dispersent pour éviter la répression.

Notons que « Les Éditions des femmes » ont édité George Sand et Madame de Staël (connues l’une et l’autre pour leurs positions politiques conservatrices), mais aucune des figures historiques du féminisme révolutionnaire.

 

Flora Tristan 1803/1844

Reconnue pour ses enquêtes sociales et son incessant combat pour le droit des travailleurs, Flora Tristan fut également l’une des figures essentielles du féminisme au XIXe siècle.

En 1835, elle publia, « Nécessité de faire un bon accueil aux femmes étrangères », et rencontra Charles Fourier. En 1839, à Londres, elle poursuivit sa vaste enquête sur l’Angleterre industrielle, qu’elle définissait comme un nouveau modèle de civilisation où l’homme était sacrifié à la tyrannie du profit.

Elle proclama que l’honneur des prolétaires serait de promouvoir l’égalité de droits entre les hommes et les femmes, afin de mettre un terme à une exploitation qui faisait de la femme « le prolétaire du prolétaire ».

Commentaire en voix-off :

L’histoire personnelle de Flora Tristan nous fait comprendre son combat incessant en faveur du droit des femmes à divorcer.

À 17 ans, « ma mère m’obligea d’épouser un homme que je ne pouvais ni aimer ni même estimer. À cette union je dois tous mes maux ». Il la battait et l’humiliait. Elle le quitta. En réponse celui-ci enleva sa fille Aline et, en 1838, lui tira deux balles au pistolet dont l’une lui perfora le poumon et resta logée près du cœur. Le divorce étant interdit depuis 1815, la justice, « faute d’éléments probants » n’accorda à la jeune femme qu’une séparation de corps.

 

Jeanne Deroin 1805/1894

Ouvrière lingère autodidacte, elle rédigea en1831 un plaidoyer contre « la soumission des femmes ». En 1848, elle fonda avec Désirée Gay « La Politique des Femmes » : « journal publié pour les intérêts des femmes et par une société d’ouvrières. »

Elle se présenta comme candidate aux élections législatives de 1849. Proudhon, condamna cette candidature qu’il jugeait« excentrique », et jusqu’à George Sand qui l’estima « déplacée ».

Commentaire en voix-off :

Honoré Daumier, dans ses séries consacrées aux femmes (« Les Bas bleus », « Les Divorceuses » ou « Les Femmes socialistes » tournent en ridicule leurs aspirations au vote ou au travail et présentent l’émancipation féminine comme une catastrophe pour l’ordre domestique.

 

Jenny d’Héricourt 1809/1875

Elle joua un rôle public et actif pendant la Révolution de 1848, fondant avec d’autres femmes la « Société pour l’émancipation des femmes ».

Elle s’opposa aux théories des principaux philosophes sociaux de son époque sur l’infériorité féminine. En 1860, elle publia son principal ouvrage, « La Femme affranchie », réponse à MM. Michelet, Proudhon, É. de Girardin, Legouvé, Comte et autres novateurs modernes.

Elle y dénonçait « l’annihilation sociale de la femme », à savoir l’exclusion des femmes du travail, de la politique, de la citoyenneté et du droit à l’autonomie. « Mon but est de prouver que la femme a les mêmes droits que l’homme ».

 

Louise Franziska Aston 1814/1871

Vers 1845, Louise Aston se joignit à un groupe de jeunes hégéliens et rencontra Max Stirner. Pour formuler ses revendications radicales en faveur de l’égalité des sexes et du droit des femmes, elle se mit en scène dans ses écrits.

Athée et républicaine, elle considérait le mariage comme une forme de prostitution à laquelle les femmes étaient souvent contraintes de se soumettre pour de l’argent. Elle revendiquait le droit d’avoir des relations sexuelles sans être marié.

En 1846 elle publia, « Mon Émancipation, Référence et Justification ». En 1847 « Sur la vie d’une femme ».

Commentaire en voix-off :

« J’ai porté des vêtements masculins pour pouvoir assister aux conférences universitaire. Je ne crois pas en Dieu et je fume des cigares. Mon objectif est de libérer les femmes même si cela doit me coûter jusqu’à mon dernier sang » Surveillée par la police, Louise Aston fut expulsée de Berlin. Elle fut qualifiée par la presse de prostituée, de séductrice, d’impudique, de briseuse de mariage.

 

Mathilde Franziska Anneke 1817/1884

En 1848, elle publia le premier journal féministe allemand « FrauenZeitung ». Après l’invasion prussienne du Palatinat elle émigra avec son mari aux États-Unis.

En 1852, elle lança le premier journal féministe fait par une femme aux États-Unis, la « Deutsche FrauenZeitung ».

Elle lutta contre la prohibition, le nationalisme, la religion et les inégalités entre les sexes. Abolitionniste elle s’opposa toute sa vie à l’esclavage.

Elle publia en 1844 « Les chaînes brisées » série d’articles sur esclavage ; en 1847 « Femme en conflit avec la société » qui évoque le sort de Louise Aston ; en 1853, « Mémoires d’une femme du Feldzuge dans le Bade-Palatinat ».


 

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18 avril 2020 6 18 /04 /avril /2020 22:37

4 / Mensonges et simulacres

En ce début de XXIe siècle, si le mensonge domine l’ensemble de la société, les mensonges particuliers et concurrents n’ont plus d’objectifs définis, mais un objectif général : celui d’entretenir la confusion.

Ces mensonges particuliers ne sont plus produits pour falsifier un détail de la société mais la société dans son ensemble. Ils peuvent s’affronter, se démentir, se contredire et utiliser, pour ce faire, le flux tendu d’images et de mots et l’apparente liberté d’un système médiatique à qui on ne demande pas de faire comprendre mais de distraire.

Il est permis à chaque mensonge particulier d’apporter son propre démenti, puisqu’il ne falsifie pas une information sur la réalité, mais son simulacre réalisé. Qu’il s’agisse de la manipulation ou de sa dénonciation, celles-ci ne reposent sur rien de vérifiable. Ce qui peut être si facilement démenti ne se rattache plus au monde de la preuve.

À l’image de la conception postmoderne de la société, ces mensonges performants sont définitivement détachés du cours réel des choses. Leurs pseudo-conflits sont là pour dissimuler l’existence d’un autre plan de réalité : celui d’une vie quotidienne totalement dégradée.

Mais, pour que domine sans réplique des mensonges si performants, il a d’abord fallu faire disparaître l’opinion publique, et que celle-ci conforme ses opinions à celles très contemporaine des réseaux sociaux ; il a fallu également rendre obsolète la connaissance historique, au point de faire oublier jusqu’à l’histoire récente.

Ce qui n’a plus d’histoire a toujours existé ; ainsi en va-t-il de toutes les formes de superstitions, qu’elles soient divines ou financières.

Dans le monde étrangement inversé de la société du chaos, le plus souvent, vrai et faux n’impliquent rien pour l’un comme pour l’autre et s’équivalent. L’avantage d’un fait qui existe sans qu’on ait besoin d’en rechercher la cause, c’est qu’il n’a jamais tort.

Ce que le langage a perdu se répercute socialement dans l’atomisation de la vie quotidienne, dans la perte généralisée de tout sens logique, dans la difficulté croissante à penser de nouvelles formes d’auto-organisation ou, plus tristement, dans l’incapacité à favoriser de simples gestes de solidarité.

En tant que simulacre culturel, le postmodernisme a emprunté le discours et les postures de la gauche et de l’extrême gauche pour en venir à élaborer un projet politique conjuguant et confondant, sans contradictions possibles, le libéral, le libertaire, le fanatique et le médiatique.

Cette réduction de toute l’existence sociale aux seules valeurs de la domination signe sa première victoire.

Dorénavant, les nouveaux stratèges de la société du chaos n’ont plus besoin de détourner ni de récupérer la théorie critique chez ceux qui remettent en cause cette société et la combattent. Ils sont capables d’écrire et diffuser eux-mêmes une telle théorie et la faire admettre comme étant la seule théorie critique possible. Pour parvenir à un tel résultat il a fallu non seulement empêcher toute velléité de pensée critique, mais construire le postmodernisme comme pensée unique et le faire admettre comme tel.

Les post-citoyens aiment retrouver dans leurs séries, bien à l’abri de leurs prothèses, des gens qui leur ressemblent et auxquels ils peuvent s’identifier. Comment pourraient-ils imaginer une seconde qu’ils sont formatés depuis leur prime enfance à répondre docilement aux sollicitations de leurs maîtres ; qu’il leur est seulement permis d’admirer des êtres toujours pires qu’eux.

Les post-citoyens qui trouvent intolérable d’être représentés, admettent sans peine la représentation que le système médiatique donne d’eux.

Ils veulent bien admettre l’existence d’un complot extra-terrestre, d’une révolte des machines, d’une secte contrôlant le destin de l’humanité, voire même d’une vengeance divine, mais jamais que leur aliénation puisse avoir une cause politico-économique. Rien ne leur fera admettre que ce sont des représentants politiques, économiques et médiatiques qui organisent délibérément leur déréalisation.

Ce qui les dépossède de leur langage et de leur identité est aussi ce qui les possède : une étrange puissance extérieure qu’ils ont pourtant eux-mêmes produite.

Pour eux, la réalité, ou ce qui en tient lieu, est devenue un simulacre qui semble incontestable et demeure jusqu’ici incontesté.

Au nom de leur liberté critique, les séries télévisuelles diffusent massivement une vision postmoderne du présent qu’elles ne peuvent donc promouvoir que mortifère et nihiliste. Elles se complaisent à mettre en scène des corps suppliciés, dégradés, drogués, effrayés, séparés, manipulés ou violés. Leurs personnages n’échangent que des regards de fous ou des regards de haine.

Dans ces simulacres performants la critique politique et sociale est réduite à des stimuli voyeuristes qui ruinent une conception ancienne de l’amour, de l’amitié, de la tendresse, de la solidarité, de l’entraide, de l’empathie, de la camaraderie, de la fraternité et du désintérêt. Dans de telles séries, aucune trace d’humanité ne doit venir perturber l’apologie du désespoir, de la solitude, du déni de soi et des autres, du cynisme, de la haine, de la violence, de l’égoïsme, de la manipulation et de la domination.

Quels intérêts servent ces séries ? À quels maîtres ont fait allégeance les concepteurs de ces simulacres télévisuels qui parviennent si facilement, en les rendant invisibles, à escamoter les conditions réelles de la révolte et à ruiner tout renouvellement de la pensée critique, au nom même de la pensée critique ? Sous les cieux de quels algorithmes ?


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