Bonjour Nicolas,
L’as-tu remarqué ?
Nos anciens tombent.
Mais ils ne « tombent pas métaphoriquement », comme l’aurait dit mon ami C.
Ni de la lune, d’ailleurs.
« Il y a cent ans, ou bien une minute,
J’ignore tout-à-fait ce que dura la chute,
Nous vivions démasqués, libres et insouciants. »
Libre interprétation, je sais… Masque de mots.
Pour sourire un peu et faire le bravache par-dessus la tristesse.
Nos anciens tombent.
Mais ils ne tombent pas, non plus, au sens épique, comme tombent les soldats au cœur de la mêlée : ils ne sont plus soldats. Plus même réservistes ; inaptes au service. Que sont-ils exactement sitôt qu’un simple câlin semble devoir les tuer plus efficacement qu’une balle ennemie ? Où sont-ils ?
Question rhétorique : entre les quatre murs qui préfigurent nos quatre planches à tous.
A propos, Nicolas, sais-tu pourquoi on dit quatre quand il y en a six ?
Nos anciens tombent et…
Juste avant les six planches, et…
Pour en reculer l’échéance, nous leur offrons une fin de vie préservée et…
« Privée de tout contact direct et prolongé avec d’autres dangereux humains » et…
Pendant que leurs descendants réapprennent difficilement la servitude, il semblerait qu’on les ait mis en conserve.
Déjà en boîte en somme.
Mais non, Nicolas, concentre-toi un peu, pas en boîte de nuit… En gérontothèque.
Point de danse, point de musique, point de contact…
La gérontothèque, c’est une boîte-avec-la-télévision-pour-
Memento, Nicolas : c’est un post coitum.
Et nos tristes anciens tombent.
Entre leurs murs, tout bonnement, au sens commun et redoutablement individuel, un peu partout, ici ou là : dans les escaliers, dans la douche, au lever, au coucher…
Ils chutent physiquement.
Souvent seul, comme d'insignifiantes poussières de météorites.
Je crois que c’est là qu’il convient, Nicolas, d’évoquer la gravité de la situation : ceux qui appartiennent sans doute à la génération qui aura vécu le plus longtemps semblent devoir subir le supplice des vestales, qui fait oublier leur enviable longévité. Je sais, Bestiole n’est pas membre du club très fermé des Historiens de l’Avenir. Bestiole ne devrait pas parler en spécialiste. Bestiole se tait.
Mais il pleut des anciens et Bestiole s’inquiète.
Elle sait les malheurs des souffrances secrètes.
C’est qu’on ne marche plus entre ses quatre murs :
Les muscles s’amollissent, le pas n’est plus sûr,
On mange sans fin, on s’ennuie, on s’habitue…
On tombe, on casse, et puis… On ne se lève plus.
Vale, Nicolas,
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