Alain Tarrius est professeur émérite de l’université Toulouse-Jean-Jaurès et membre des laboratoires CNRS LISST et Migrinter. Il étudie depuis les années 1980 la genèse des migrations transnationales.
Nicolas Caudeville journaliste et blogueur Master 1 d'histoire avec pour mémoire "Luttes propagantistes en Catalogne républicaine 1936/1939),master 2 histoire avec pour mémoire "Reconstruction de l'image de la Catalogne de 1975 à nos jours" (université de Pepignan)
Barcelone /Madrid : qui reste, qui sort ?
A la mort de Franco, en 1975, Juan Carlos, jeune prince de 37 ans, que le caudillo avait choisi comme successeur en 1969, devient roi. En 1978 est adoptée la constitution, transition entre le franquisme et une certaine démocratisation, au prix de l’abandon de la mémoire républicaine, car l’Espagne a été République de 1931 à 1939, avant de sombrer sous le coup d’état fasciste/ franquiste.
Depuis 2011 et le mouvement des Indignés, une insatisfaction profonde se manifeste, dans les 17 régions autonomes espagnoles et non dans la seule Catalogne, contre les compromis de la constitution de 1978 et l’effacement des lieux et moments de mémoire républicaine. De plus en plus cette constitution apparaît pour ce qu’elle est : une falsification de l’histoire et une protection des politiques fascistes et de leurs filiations post- franquistes, y compris une frange du PPE, le parti actuellement au pouvoir à Madrid.
Rappeler ces faits c’est contribuer à la compréhension des enjeux du conflit actuel entre le gouvernement central de Madrid, et la région autonome de Barcelone : si celle-ci retrouve sa liberté et son histoire, c’est l’ensemble des 16 autres régions autonomes qui revendiqueront leur identité réellement post fasciste/ franquiste pour en finir avec une « transition constitutionnelle» qui s’arrête aux portes de la mémoire sociale et républicaine : exit les caciques du PPE et la lignée royale franco-compatible.
Le conflit n’est pas qu’une rivalité entre une région riche et égoïste,
la Catalogne (dernières nouvelles, les sièges des banques -y compris la Caixa- veulent s’enfuir de Barcelone), et une Espagne généreuse et moins pourvue ! entre des Catalans bornés des campagnes associés fugitivement à des capitalistes urbains barcelonais, et des Espagnols royalistes, européens et citoyens égalitaires !
L’enjeu est un post fascisme/franquisme libéré des transitions construites par Franco lui-même et ses affidés politiques.
Qu’a-t-on vu dès que le gouvernement de Catalogne a affirmé sa légitimité démocratique à avancer vers la « post-transition », à recouvrer sa continuité historique et mémorielle pré-franquiste ? les hommes en noir, envoyés par Madrid pour cogner et effrayer ; les leçons de « dignité » données à la télévision par le représentant du PPE, Rajoy, et le fils du roi Juan-Carlos, choisi par Franco, Philippe 6.
Catalans, la constitution de 1978 a fait des hommes des femmes libres, c'est pour cela que vous ne pouvez pas sortir de l'Espagne!
En fait, ce qu'il faut considérer, c'est l'inverse des signifiés des parties pour considérer les raisons subconscientes des plus forts (qui sont toujours les meilleures). Et derrière le maquillage sémantique et juridique, faire en sorte que "todo en orden" (voir film "La isla Minima" Espagne 2015)
On nous dit et fait répéter que le nationalisme catalan serait plus odieux que le nationalisme espagnol! Que les intérêts économiques de l'Espagne seraient moins égoïstes que ceux de la Catalogne. Mais Madrid est-elle l'Espagne?
On nous parle de légalité (pas l'égalité, même s'il y a comme une assonance) à propos du référendum d'autodétermination et du processus
Le gouvernement espagnol par la voix de premier ministre issu du PP (Partido popular) monsieur Rajoy, ainsi que le roi Philippe VI lui-même répètent à l'envie que la démocratie, c'est avant tout le respect de la loi et de la légalité. Ce qui peut-être paradoxal pour des pas si lointains descendants d'un "pronunciamento " réussi et qui se seraient auto-blanchi par la "transition démocratique" . On dénonce aussi la faiblesse du corps électoral catalan pour le référendum. Mais à ce compte, la plupart des dirigeants d'Europe, ont été mal élus. Et leurs électeurs n'ont pas eu à voter en esquivant les fourches caudines des matraques de la policia espagnole ou la guardia civile, ni à jouer à "cache cache" les urnes!Il ne fallait pas non plus retoquer le statut de la Catalogne voter pourtant par les cortes (le parlement espagnol) https://fr.wikipedia.org/wiki/Statut_d%27autonomie_de_la_Catalogne On a envie de dire au gouvernement espagnol: si vous êtes si sûr de vous, organisez de bon cœur un référendum dans des conditions optimales.
Ceci est une affaire intérieure espagnole: comme la guerre civile au début!
L'affaire est déjà assez grave, pour qu'on y ajoute pas les commentaires de ceux dont on aimerait qu'ils se taisent, et le silence de ceux dont on pourrait souhaiter qu'ils s'exprimassent. Des commentateurs patentés, dont on à pas vérifié la traçabilité, surgissent sur les plateaux de télévision pour nous expliquer à nous français, ce qu'il convient de penser. Ils brandissent leur posture, leur grille d'analyse prêts à être parachutés directement sur notre conscience collective. Le réel n'as pas d'importance . Le réel, c'est ce qu'ils ont à dire! Pour persuader, on utilise le feu nourri des chiffres: à chacun ses munitions. Mais comme disait Michel Audiard, dans "Le président" : "Le langage des chiffres à cela de commun avec celui des fleurs: on peut lui faire dire , ce qu'on veut!" Et puis encore Arthur Koestler dans "le yogi et le commissaire" : "Les statistiques ne saignent pas c'est cela qui comptent!" Et pour le moment sur les matraques, il n'y a que du sang de Catalogne...
Faire passer l'indépendance de la Catalogne pour un caprice d'enfant gâté!
Le monde politique et médiatique français semblent vouloir expliquer l'affaire catalane comme une foucade,une toquade qui finira mal avant tout pour la Catalogne et les catalans eux-même, utilisant au passage un langage infantilisant (voir la majorité des interviews du président de la Généralitat de Catalogne Puigdemont lors de son passage à Paris dans les médias, la palme allant à Léa Salamé sur France Inter) . Toujours dans la posture de "la raison pragmatique" qui a terme renverrait la Catalogne dans les cordes avec mise sous tutelle.
Les nations européennes ont peur de la contamination : l’Europe irait vers un seul ensemble, alors pourquoi accepter de nouveaux morcellements ?
Précisément pour la raison qui fait que la Communauté Européenne reconnait les multiples euro-régions (par exemple Occitanie Catalogne) aptes à remplacer les contours nationaux…
Et puis, la devise de l'union européenne, c'est "concurrence libre et non faussée" et pas " pas de nations sans état".En Europe, les marchandises et capitaux sont plus libres que les peuples.L’Europe, d’ailleurs joue aussi mal que Madrid, en ne récupérant pas le mouvement indépendantiste, c’est du pain béni qu’elle ne sait pas saisir : un futur petit État pro-fédéraliste, atlantiste, dirigé par la CIU et qui attire start-up, banques…
Et nous, Catalans de France, que faire devant ces troubles au sud ?
L’État central espagnol ne peut accepter une négociation longue de plusieurs mois, qui ferait bouger les autres régions autonomes. Il ne peut davantage accepter la solution brusque qui verrait la naissance d’une République comme sortie du royalo-franquisme de transition : retour à la case départ.
Alors il est bien possible, en cas de conflit violent, que l’on assiste à la fuite de nombreux concitoyens de Catalogne, accueillis par les mêmes cordons « sanitaires » de policiers qu’en 1939 à Cerbère et au Perthus. Ils n’iront pas sur les plages d’Argelès ni au camp de Rivesaltes, mais dans de nouveaux « lieux d’accueil ». Attention aux blablas de certains partis politiques (même s’ils ont « l’accent catalan ») qui déjà font semblant d’oublier les faits rappelés ci-dessus .Mais le catalanisme roussillonnais étant plus folklorique que culturel, on peut qu’escompter une protestation guignolesque.
Nous ne devrons pas accepter un quelconque isolement en France de nos proches du sud .
il existe dans le département des associations mémorielles de la Retirade , par exemple celle, excellente, qui organise des manifestations annuelles à Argelès-sur-Mer. Il est urgent qu’elles nous conseillent.
La liberté ce n'est pas faire ce qu'on veut, mais assumer les conséquences de ses choix.
"Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir
(...)
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
(...)
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils."
If de Rudyard Kipling (1910)
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