Ce n'est pas rien que la disparition d'Antoine Sarda, à l'instar de la disparition de Robert Aggérie, c'est la disparition d'une certaine catégorie d'homme . Dans ce cas précis l'homme politique cultivé et qui avait la passion des arts (et particulièrement de l'opéra) . Parce que la plupart des politiques n'ont que la passion d'eux même et du pouvoir (d'où l'abus de communication sur leur supposée action, qui est tellement évidente, qu'ils se sentent obligés de la sur-ligner à grand frais, les notres). Je dois aussi, les beaux moments passés sous les étoiles du festival d'Estagel: Merci pour le moment Antoine
D'abord, je n'aime pas les nécrologies. En plus, quand il s'agit d'un oligarque local, j'ai plutôt tendance à reprendre deux fois des moules. Mais celle-ci, je ne vais pas y couper. Je la dois.
J'ai découvert Antoine Sarda en classe. En sixième, nous lisions Rousseau, Hugo, Proust et La Bruyère. Nous apprenions aussi la grammaire. Celle qui oblige à se taire et à se concentrer. Puis je l'ai retrouvé comme maire d'Estagel, sympathique bourgade communiste qui prêtait ses salles (Arago et Aragon) à une bande de fils de bourgeois arrogants, le théâtre de la Genèse.
Chaque samedi après-midi, nous nous retrouvions au commerce pour un café d'avant répèt. Juste avant à l'entrée d'Estagel, le panneau "Étranger, si tu viens au pays, on t'aidera !" était comme un exercice d'imitation. Plus que maire, il était le village. L'accent, la voix profonde, le physique massif, les gestes délicats et surtout, le petit air malin.
Et puis, il y a eu cette aventure magnifique du festival. Pendant dix huit ans, des grandes compagnies ont donné du théâtre, des concerts, de l'opéra. Les comédiens en résidence déjeunaient ensemble au collège, se retrouvaient au café, achetaient les premiers croissants à l'aube. En 91, c'était l'année Mozart et j'avais seize ans. J'ai passé le mois de juillet avec la troupe d'Anne Clément, à Estagel. Et nous avons joué. Tout le village était là. Ma mère, embauchée par Lilou portait un flambeau, c'est pour dire. Ensuite, après avoir récupéré la bouteille de vin rouge offerte par le festival à chaque spectateur, nous nous sommes dirigés vers les jardins du Colisée.
Dans ce jardin magnifique, centre d'un labyrinthe de rues silencieuses, tout le festival se retrouvait, autour d'Antoine Sarda et de Roger Payrot. On y écoutait un groupe de jazz en mangeant des roustes grillées et en buvant des tuilés servis par les employés municipaux. A la fermeture, nous n'avions pas longtemps à attendre pour le premier café au commerce.
Au lycée, Roger Payrot invité par Robert Aggeri, nous écrivaient des spectacles. Nous les avons joués au collège et une fois au, festival. Nombre de mes camarades de l'époque font du théâtre aujourd'hui.
Tout ce que nous avons fait à Estagel, nous n'aurions pas pu le faire ailleurs. Si nous avons pu le faire, c'était grâce à lui.
Antoine Sarda refusait de se soumettre à la laideur du monde. Il va me manquer.
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