
Il y a une semaine, c'était la grève. Unitaire ou presque.
On allait montrer une énième et stérile fois au Macronat (1) qu’on n’était pas contents, nous les larbins du néocapitalisme, de voir notre État social continuer à perdre ses dernières densités. Les syndicats nous promettaient la ballade des grands boulevards. Sorte de marche funèbre où on s’emmerde à traîner la savate dans des rues aussi larges que vides, marchant au pas de la bande-son du camion-sono de la Cégète. « J’ai rêvé d’un autre monde... ». Overdose d’Aubert.
J’ai décroché au croisement boulevard des Pyrénées - rue Foch pour m’enfiler un petit blanc au Café de la Source avec une poignée d’anars.
Je savais qu’une partie des Gilets jaunes avait fait un autre choix pour cette journée d’action : bloquer Saint-Charles.
J’y file après la pause bouffe du midi. Une ribambelle de 38 tonnes sont à l’arrêt. Les chauffeurs désœuvrés s’enfilent un casse-dalle industriel acheté au Lidl du coin ou filment avec leur smartphone. Un cordon de bleus en tenue antiémeute m'empêche de rejoindre la trentaine de fluos nassés sur le rond-point.
Les flics sont chauds patate - un témoin les entend dire : "On va casser des bouches".
Je vois filer les journaleux de France 3. On se salue ; à force, on finit par se connaître. Une Gilette me rapporte cette seconde indiscrétion tenue par un policier à un confrère :
"C'est bon, la télé est partie, on va pouvoir y aller, il n'y aura pas d'images".
Les sbires de Castaner à point pour la castagne. Je pense aux copains et copines piégés sur le rond-point, sachant qu'on ne voit rien des assiégés à cause des 38 tonnes embouteillant la route. Ils vont morfler pour le Fouquet’s et les Champs saccagés, c’est sûr.Après quatre mois de fronde fluo, le pouvoir doit redorer son blason.
Une rumeur fait état de la présence du député Ruffin sur le lieu du blocage.
Ça paraît curieux mais en même temps le taulier de Fakir est attendu dans la journée pour présenter son docu en avant-première. Une copine demande à un flic :
- Ruffin est là-bas ?
- Meuh… Je sais pas. On m'a parlé d'un ministre mais il est plus là apparemment.
Sous le képi, le vide.
La tension monte.
Un copain passe nonchalamment le cordon bleu et marche vers le rond-point. Une dizaine de robocops s’élancent à sa poursuite, l’encerclent et le ramènent vers nous. Palpations, contrôle d’identité, interrogatoire. La vache, on dirait la guerre.
Quand tout d’un coup, mon regard est accroché par une cohorte fluo surgissant des camtars avec à sa tête, un type portant une écharpe tricolore en bandoulière.
Telle une groupie surexcitée, je m'écrie :
- Mais c'est Ruffin là-bas !
Zyva ! Tout le monde s'excite et criaille. Ruffin !
Vlà monsieur le député, mandaté par les Gilets, qui vient négocier leur pacifique évacuation auprès de l’autorité préfectorale. Cette dernière, prise au dépourvu, jette des regards inquiets au caméra-man de Ruffin. C’est quoi ce bordel ? C’était pas prévu dans le script !
Voilà la dame obligée d’acquiescer à la requête de monsieur le député : "Mais oui pas de problème, on va les laisser partir".
Et de virer ses robocops en surchauffe sur le parking de la station Total. On imagine la honte et la rage impuissante sous les policières carapaces - renvoyés au coin par un sale gaucho mélanchonien !
Un copain anar essaie de mettre son grain de sel :
- L'objectif, camarade, était quand même de tenir le rond-point toute la journée.
Le Ruffin, voyant venir le bakouninien s'énerve un chouia :
- Oui bon, la décision a été prise sur le rond-point et j'ai un mandat impératif.
Sur quoi, il retourne informer les Gilets jaunes que la voie est libre et que personne se fera taper.
Et là, trop rigolo : la canaille jaune, soulagée de ne pas s'être fait latter la gueule ou embastiller, qui s’extirpe du guêpier en gueulant triomphalement "Police partout, justice nulle-part" et "On lâche rien"
. Final un rien potache. Anecdote amère qui en dit long : c'est grâce à sa mise hors jeu des républicaines négociations que la chienlit jaune a sauvé ses miches.
"Merci Ruffin !"
Clap clap clap !
(1) Alliance à peine voilée entre la Macronie et la patronat
En bonus: la vidéo Jean-Claude Zaparty était en direct pour l'archipel l'archipel contre attaque pour présenter le bilan de la manif universitaire des syndicats CGT FO et Gilets Jaunes ce matin en attendant le député François Ruffin sous la bonne garde de Philippe Assens