“Mais les belles âmes, ce sont les âmes universelles, ouvertes et prêtes à tout, si non instruites, au moins instruisables.”
Michel de Montaigne / Essais
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https://www.instagram.com/paoline.valencia/
Dans l’univers foisonnant des réseaux sociaux, où les récits personnels se mêlent aux combats pour la visibilité, Paoline Valencia s’impose comme une figure singulière. Atteinte du trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), elle partage, à travers ses vidéos, son quotidien, ses défis et son regard sur le monde. Avec une pointe d’humour et une sincérité désarmante, elle y évoque son rapport aux « Moldus » – ceux qui, dans son jargon inspiré de l’univers d’Harry Potter, n’ont pas de TDAH. Mais au-delà de l’anecdote, son témoignage soulève des questions profondes : comment vivre avec un trouble neurodéveloppemental dans une société normée ? Et comment construire des ponts entre ceux qui naviguent avec un cerveau « câblé différemment » et ceux qui incarnent la « norme » ?
Paoline Valencia : une narratrice du TDAH https://www.instagram.com/paoline.valencia/
Paoline Valencia n’est pas une clinicienne ni une chercheuse. Elle est une femme qui, à travers des vidéos diffusées sur des plateformes comme TikTok ou Instagram, donne corps à une réalité souvent mal comprise. Le TDAH, caractérisé par des difficultés d’attention, une impulsivité et/ou une hyperactivité inadaptées à l’âge, touche environ 5,9 % des enfants et 2,8 % des adultes en France, selon l’Inserm. Mais ces chiffres ne disent rien de l’expérience intime du trouble : les tempêtes intérieures, les moments d’hyperfocalisation, les malentendus avec l’entourage. C’est là que Paoline intervient, transformant son vécu en un récit accessible et universel.
Ses vidéos, souvent courtes et percutantes, mêlent anecdotes personnelles et réflexions sur la société.
Elle y décrit, par exemple, l’épuisement de devoir « masquer » ses symptômes pour s’intégrer, ou la frustration de voir ses efforts minimisés par ceux qui ne comprennent pas le TDAH. Mais ce qui frappe, c’est son usage du terme « Moldus ». Emprunté à J.K. Rowling, où il désigne les personnes sans pouvoirs magiques, ce mot devient chez Paoline une métaphore ludique pour nommer ceux qui n’ont pas de TDAH. Loin d’être péjoratif, il souligne une différence de perception et d’expérience, tout en invitant à l’échange.
Les « Moldus » et le TDAH : une relation à réinventer
Le rapport entre les personnes TDAH et les « Moldus » est au cœur des vidéos de Paoline.
Comme elle le montre, vivre avec un TDAH dans un monde conçu pour des neurotypiques – ceux dont le fonctionnement cérébral correspond à la norme – est un défi constant. À l’école, au travail ou dans les relations personnelles, les attentes de ponctualité, d’organisation et de constance peuvent sembler écrasantes pour un cerveau TDAH, qui excelle dans la créativité et l’intuition mais peine à suivre des routines linéaires. Cette tension est particulièrement visible dans les interactions avec les « Moldus », qui, sans le savoir, peuvent percevoir les comportements TDAH comme de la négligence ou de l’immaturité.
Les recherches confirment cette difficulté : le TDAH impacte les relations interpersonnelles, souvent marquées par des malentendus ou des jugements hâtifs.
Les adultes TDAH, par exemple, rapportent une sensibilité accrue aux critiques et une faible estime de soi, conséquences des incompréhensions accumulées au fil de leur vie. Paoline, dans ses vidéos, illustre ces dynamiques avec des exemples concrets : un ami qui s’impatiente face à son retard chronique, un collègue qui ne comprend pas ses « distractions » en réunion. Mais elle ne s’arrête pas à la plainte. Avec humour, elle propose des pistes pour mieux communiquer : expliquer le TDAH, demander de la patience, ou encore valoriser les forces du trouble, comme la capacité à penser « hors des sentiers battus ».
Les réseaux sociaux : un espace de validation et de risque
Le choix de Paoline de s’exprimer sur les réseaux sociaux n’est pas anodin.
Depuis la pandémie de Covid-19, ces plateformes sont devenues des lieux privilégiés pour les communautés neurodivergentes, offrant un espace de partage et de validation. Sur TikTok, par exemple, les vidéos sur le TDAH comptent parmi les contenus de santé mentale les plus populaires. Pour beaucoup, comme Paoline, elles permettent de reconnaître leurs propres symptômes, de chercher un diagnostic ou de trouver du soutien. Ce phénomène, qualifié d’« unbounded Online Health Communities », encourage les personnes TDAH à s’affirmer et à revendiquer leur différence.
Mais cet espace n’est pas sans écueils.
Une étude publiée dans The Canadian Journal of Psychiatry révèle que près de la moitié des vidéos TikTok sur le TDAH contiennent des informations trompeuses. Paoline, en s’appuyant sur son expérience personnelle plutôt que sur des prétentions scientifiques, évite en partie ce piège. Cependant, son discours, comme celui de nombreux créateurs, peut involontairement simplifier la complexité du TDAH, au risque de banaliser le trouble ou de renforcer des stéréotypes. Par exemple, l’idée que les TDAH sont tous créatifs ou hyperactifs ne reflète pas la diversité des profils, notamment celui des femmes, souvent sous-diagnostiquées en raison de symptômes moins visibles.
Une société prête à écouter ?
En nommant les « Moldus », Paoline Valencia ne cherche pas à creuser un fossé, mais à ouvrir un dialogue. Ses vidéos sont une invitation à repenser la coexistence entre neurotypiques et neurodivergents. Dans une société où la performance et l’uniformité restent des valeurs dominantes, le TDAH met en lumière les limites d’un modèle qui exige de tous la même façon d’être et de penser. Comme le souligne la psychiatre Annick Vincent, le cerveau TDAH n’est pas « défectueux » : il a simplement besoin d’outils adaptés pour exprimer son potentiel.
Le témoignage de Paoline, relayé depuis des lieux comme le Cochon Hardi, résonne comme un appel à l’empathie.
Il rappelle que comprendre le TDAH, c’est non seulement accompagner ceux qui en sont atteints, mais aussi interroger nos propres attentes. Sommes-nous, « Moldus » ou non, prêts à accueillir la diversité des fonctionnements humains ? À l’heure où les diagnostics de TDAH augmentent, cette question n’a jamais été aussi pressante. Paoline Valencia, avec sa caméra et son franc-parler, y répond à sa manière : en montrant que, loin d’être un fardeau, le TDAH peut être une force, à condition que le monde accepte de ralentir pour l’écouter.
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