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L'archipel Contre-Attaque

  • : L'archipel contre-attaque !
  • : Depuis les émeutes de mai 2005, la situation de Perpignan et son agglomération(que certains appellent l'archipel) n'a fait que glisser de plus en plus vers les abysses: l'archipel contre attaque en fait la chronique!
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8 janvier 2022 6 08 /01 /janvier /2022 13:22

Guardian, journal de gauche http://cqfd-journal.org/Picasso-a-Perpignan anglais, parés le "Time" américain http://l-archipel-contre-attaque.over-blog.fr/2018/08/perpignan-l-article-du-new-york-time-sur-les-gitans-de-perpignan-traduit-en-francais.html, se pense sur le cas du quartier St Jacques à Perpignan, par le truchement de la figure de l'influenceur Nas Das...

Article original : https://www.theguardian.com/world/2022/jan/05/i-want-to-show-france-who-we-are-the-slum-influencer-with-his-sights-on-parliament

 

Nasser Sari s’est bâti une large base de followers sur les réseaux sociaux en documentant la vie dans l’un des quartiers les plus pauvres de France. Maintenant il veut entrer dans la scène politique nationale.

 

Influence n’est pas un mot qui vient en premier à l’esprit quand on parle de Saint-Jacques, le quartier gitan de la ville de Perpignan. Cependant, il y a peu lors d’une nuit fraîche un peu avant 20 h, l’ineffable main de l’influence est derrière une scène spontanée de théâtre de rue au pied des alignements de platanes de la place Cassanyes. Des gens arrivent en foules. À 19h50, ils sont plus de 200, principalement des jeunes hommes, en petits groupes turbulents. Fumant, criant, s’étirant, un groupe faisant des mouvements s’apparentant au cancan : on dirait Fast & Furious sans les voitures.

 

Un homme dans un survêtement Adidas rouge essaie d’aligner tout le monde le long de la place. Un phare dans une mer de vêtements de sport noirs, l’influenceur connu en tant que NasDas – né et ayant grandi à Saint-Jacques – est responsable de tout ce cirque. La nuit précédente, NasDas a posté pour ses 1,2 million de followers une photographie de lui posant avec un billet chiffonné de 500 €, suivi d’images d’une précédente course à pied Place Cassanyes. Ce soir c’est une redite, avec juste un plus gros prix. Mais cette fois la participation est beaucoup plus importante aussi. En live sur Snapchat, il est nerveux : « Sur ma mère, je ne pensais pas qu’il y aurait autant de monde, d’Avignon, de Marseille, de partout ! »

 

NasDas, de son vrai nom Nasser Sari, est parvenu a devenir l’influenceur français numéro 1 sur Snapchat, tout en venant d’un des quartiers les plus pauvres de France. Perpignan est la dernière ville sur la Méditerranée, à 32 km de la frontière espagnole ; à flanc de colline et à l’arrière du centre-ville se trouve Saint-Jacques, une enclave dense, du genre dur à cuire, dans un parcellaire issu du Moyen Âge, où 60 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Les trois quarts de la population, estimée entre 3 000 et 7 000 personnes, sont des gitans catalans ; les autres, coexistant parfois difficilement avec leurs voisins, sont arabes – tout comme NasDas, 25 ans, dont les parents ont émigrés depuis l’Algérie.

 

Quand des gens étrangers au quartier viennent à Saint-Jacques, la plupart du temps ils ne voient que les ordures omniprésentes. Mais NasDas voyait la vie, la beauté et l’humour dans son environnement quotidien. Il y a quelques années, il a commencé à filmer les petites affaires de la rue et les personnages autour de lui. « Je ne cherchais pas à être numéro 1, ou même à être un snapchatter ou un influenceur. Je prenais mon téléphone pour aller au café : ‘Qui va payer ? Toi ? Tu ne payes jamais ! Et je me suis rendu compte que les gens aimaient regarder mon quotidien. »

 

Il a commencé à ajouter des sketchs, partiellement préparés, comme une parodie d’un arriviste de banlieue, dans laquelle sa bande s’enfuit à Barcelone avec sa carte de crédit et fait le tour des boutiques de luxe, tandis qu’il reçoit des factures obscènes sur son smartphone. Mi-2020, ses observations malicieuses et son charme lui ont permis d’avoir plusieurs milliers de followers. Au centre d’un écran de smartphone, NasDas a un charisme fou, rappelant celui de Fozzie (l’ours du Muppet Show), rythmé par son slogan « la chiennété ! », qui peut se comprendre comme « une vie de chien ».

 

https://www.youtube.com/watch?v=IJBYDU1s8Bc

 

Curieusement, parmi les nombreux influenceurs français, très peu chroniquent les quartiers populaires comme lui. « Tu vas sur Snapchat, et c’est des gens en strings, dans des immeubles de luxe et avec de belles voitures. Toujours la même chose » déclare le manager de NasDas, un homme de 32 ans qui apparaît de façon anonyme dans les vidéos avec le surnom de « l’homme masqué ».

 

De nombreux rappeurs, danseurs, humoristes et maquilleurs viennent de ces quartiers, mais très peu d’entre eux documentent la vie au quotidien. Nordine Idri, un Marseillais de 17 ans qui raconte son ancienne vie de guetteur sur Youtube, est un autre cas isolé. Les films sur les cités (de la Haine à Intouchables en passant par Bande de Filles) ont tendance à être réaliss par des gens de l’extérieur (Les Misérables en 2019 sont un exemple rare, de très bonne factured’une histoire raconté par les habitants eux-mêmes). Mais il semble que, curieusement, les réseaux sociaux, où toute la technologie tient dans votre poche, n’ont pas produit plus de chroniqueurs des quartiers. Peut-être que la tendance dans ces quartiers pauvres est plus en direction de l’influence autour de l’ambition et du succès.

 

https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/marseille-nono-l-ancien-guetteur-devenu-youtubeur-aux-2-millions-de-vues-2012215.html

 

NasDas aiment montrer l’argent, lui aussi. Mais la chose extraordinaire est qu’il semble en distribuer la plus grande partie. Il claque des billets sur son fil presque chaque jour. Cet été, il a été le premier influenceur Snapchat en France (ou du moins l’affirme-t-il, Snapchat ne confirmant pas avec des chiffres précis) et a réussi à monétiser son opération avec des contrats commerciaux et du placement de produits : pour des dentistes, pour l’application online CV, pour du thé glacé, pour des voitures de luxes, pour toute sorte de choses… Il estime qu’il distribue à peu près 80 % de ce qu’il gagne, la plupart du temps en privé affirme-t-il. Développer Saint-Jacques est sa priorité, avec des prospectus, au travers de l’éducation (il encourage les jeunes absentéistes à retourner à l’école et organise des ramassages de déchets pour son fil Snapchat) et en promouvant les entreprises locales.

 

Le jour avant la course à pied, ce Robin des Bois des réseaux sociaux buvait un café noisette assis à une table place Cassanyes. Mesurant 1m80, il est beaucoup plus décontracté en vrai que son personnage sur Snapchat, mais plus autoritaire aussi. Il affirme que le fait que des gens viennent de partout en France pour réaliser des selfies avec lui prouve que l’image de Saint-Jacques a changé. Pendant notre discussion, deux frères venant de Grenoble s’approchent pour passer un moment avec leur héros. Mais NasDas reconnaît que son quartier ne va pas changer en une nuit : « il y a une réalité qu’il ne faut pas cacher. Le niveau de violence est toujours élevé, malheureusement. À mon sens il est trop élevé, parce que je ne peux pas supporter la violence. » En août un jeune homme de 23 a été abattu devant une boulangerie à seulement quelques mètres de là.

 

https://www.lindependant.fr/2021/08/10/perpignancoups-de-feu-meurtriers-dans-le-quartier-saint-jacques-une-enquete-complexe-9725360.php

 

Au doigt, NasDas porte une chevalière en or en forme de lion. Peut-être est-ce en hommage à sa mère, qu’il décrit comme un « lion ». C’est d’elle qu’il tient son sens des responsabilités sociales ; elle l’a élevé seule, lui et ses quatre frères et sœurs, après que son père soit décèdé quand il avait 10 ans. Ils vivaient deux étages au-dessus du poste de police abandonné à l’angle de la place Cassanye, qui est devenu la plaque tournante du trafic de drogues à Saint-Jacques. Certains de ses amis gagnaient jusqu’à 300€ par jour quand il avait 16 ans, mais elle s’est battue pour le garder en dehors du trafic. Maintenant, avec sa toute nouvelle renommée, il prend Saint-Jacques sous son aile.

 

À la fête foraine de Perpignan, le ciel crépusculaire a viré à l’ocre foncé alors que les lumières fluorescentes des manèges occultent les étoiles. La Team NasDas essayent de faire une sortie « profil-bas », de manière à ce qu’il puisse surveiller ses nièces et ses neveux. Du moins, aussi profil bas que possible lorsque vous-même et votre bras droit, Samos, êtes vêtus de survêtements blancs assortis. À l’entrée, les gens jettent des coups d’œil et murmurent : « il y a NasDas (sa nièce porte utilement un t-shirt « NasDas la Chiennété »). Rapidement ils se faufilent pour un flux de photos non-stop. À côté des waltzers, nous sommes coincés au milieu des fans et des sympathisants pendant presque 20 minutes. « Il est tellement drôle » lance deux jeunes femmes du coin d’une vingtaine d’années. « Il s’en fout. »

 

Tout au long de centaines d'interactions, NasDas est résolument amical, mais il y a de la lassitude dans son regard. Il admet qu’il a souffert à cause de son ascension fulgurante vers la renommée, et les demandes constantes d’argent et d’aide : « à un certain moment j’ai cru que j’allais devenir fou. Je voulais juste aller boire un café comme tout le monde, et je ne le pouvais pas. » Quand il a commencé à avoir des attaques d’angoisse, son manager l’a amené à la campagne pour l’aider à remettre les choses en perspective. Quelques séances avec un thérapeute plus tard, il s’est remis en selle.

 

La plupart des membres de la Team NasDas sont présents autour de lui à la foire : Samos, l’ami filiforme aux dents cassées, qui lui sert souvent de compère dans les vidéos ; Tounsi, un grand baraqué bourru d’une vingtaine d’années qui est l’un des seuls dont NasDas était proche avant d’être connu ; 4BDV, un jeune de 17 ans à l’allure d’un gamin des rues de 12 ans et que NasDas a hébergé chez lui lorsqu’il est arrivé à Saint-Jacques après avoir traversé la Méditerranée en bateau (l’influenceur a demandé à pouvoir être son représentant légal) ; seul Billy DZ, malade, semble-t-il, n’est pas présent.

 

Maintenant une véritable infrastructure soutient la Team : au total 40 personnes – dont deux agences d’influenceur à Paris – s’occupant du support technique, de l’organisation d’événements, des débouchés commerciaux et de la stratégie. Et NasDas commence à cerner le monde au-delà des réseaux sociaux : il va prochainement apparaître dans un talkshow à la télévision, Netflix l’a contacté pour un possible documentaire, et il prévoit de monter sur scène pour un one-man-show à l’Olympia l’an prochain.

 

Mais tout cela ne pourrait être qu’un début. NasDas aime utiliser son fil pour faire jouer sa conscience sociale, au-delà des aides pour les habitants. Il a souvent critiqué la gestion de Saint-Jacques par la municipalité : dysfonctionnelle et corrompue sous la précédente administration, mais maintenant avec un côté vindicatif sous Louis Aliot, le seul maire RN d’une ville de plus 100 000 habitants. L’influenceur a récemment tourné son smartphone vers l’affaire d’un enfant de 8 ans emmené au poste de police (avec 4BDV) après avoir été filmé par les caméras de vidéo surveillance avec un fusil à billes. Le stationnement payant place Cassanyes imposé en septembre, que beaucoup d’habitants ne peuvent pas assumerest aussi une des cibles de NasDas. Que ce soit judiciaire ou économique, il perçoit l’effet escompté en des termes directs : « c’est de la répression. »

 

https://www.lindependant.fr/2021/09/09/perpignan-saint-jacques-en-emoi-apres-linterpellation-dun-enfant-de-8-ans-avec-son-fusil-a-billes-dans-la-rue-9779550.php

 

Maintenant que NasDas est devenu un personnage public, la municipalité s’intéresse à lui, affirme-t-il. « Je pense qu’ils se sentent vexés parce que je ne leur demande pas d’aide. Ça les perturbe : un jeune maghrébin qui ne demande pas d’aide et qui réussi à organiser le quartier. » La municipalté n’a répondu aux demandes d’entretien.

 

Mais il pourrait avoir la parfaite réponse. Il prévoit de se présenter aux élections législatives de juin pour essayer de devenir l’un des quatre députés des Pyrénées-Orientales, dont Perpignan est la préfecture. « Je veux briser les clichés », déclare-t-il. « Je suis jeune, racisé, quelqu’un qui entreprend. Je veux un peu ennuyer les gens. Montrer à la France qui ont est. » Les Pyrénées-Orientales comptent près de 350 000 inscrits sur les listes électorales, si seulement une fraction de ces followers votent pour lui, il pourrait snapchatter depuis l’Assemblée nationale l’an prochain.

 

Les pressions sur Nasdas ne viennent pas que de l’extérieur. Saint-Jacques a une longue histoire de dépendance malsaine à des leaders de la communauté ayant un accès privilégié au pouvoir. Durant les années 1970, d’aucuns affirmaient que les patriarches issus de certaines familles gitanes de Saint-Jacques auraient vendu la communauté en échange de faveurs politiques. Des sommes d’argent liquide et de l’électroménager aurait été distribués après les élections. Récemment ce serait des emplois et de l’influence qui auraient été distribués au travers de la très décriée rénovation urbaine de ce quartier délabré.

 

https://www.theguardian.com/cities/2019/sep/05/the-soul-of-perpignan-how-a-gypsy-community-halted-the-bulldozers

 

Aujourd’hui NasDas, par le biais du pouvoir conféré par les réseaux sociaux, est celui qui dispose de l’influence. Il n’est pas possible de douter de sa sollicitude pour Saint-Jacques, mais il est possible de se demander comment il va résister aux pressions qu’il va probablement recevoir de l’intérieur du quartier.

 

Juste avant la course, alors que nous discutons, il est interpellé par un « grand frère », qui l’harangue en arabe. Dix minutes plus tard, il revient, demandant que NasDas parle à quelqu’un au téléphone. De quoi s’agissait-il ? Apparemment, l’homme est un des intermédiaires, ce qui inclut l’homme au téléphone et quelqu’un d’autre en prison, qui facilitent un placement de produit sur Snapchat pour une entreprise à Paris. Il essayait d'obtenir de NasDas qu'il baisse ses honoraires à 5 000 €, afin de pouvoir prendre une plus grande part, 3 000 €, du prix initial.

 

L'influenceur insiste sur le fait qu'il ne s'agit que d'un cas isolé, qu’il ne connaît pratiquement aucune jalousie ouverte et que 99,99 % de Saint-Jacques le soutient. Mais il est à parier que cette convoitise de l'argent et de la publicité que NasDas génère va s'accroître au fur et à mesure que son étoile montera. En tout cas, il est furieux : « Ce sont les gens d'ici qui te tirent vers le bas. Les gens en prison qui te tirent vers le bas ».

 

Une demi-heure plus tard, sur la piste d’athlétisme de la place Cassanyes, un autre type de gestion des personnes s'impose. A 20h05, la place est en ébullition. « Dispersez-vous ! » insiste NasDas – et la foule flânent au quatre coins de la place, essayant de passer aussi inaperçue que le peuvent 300 personnes réunies pour une seule et même raison.

 

Cinq minutes plus tard, NasDas a annulé la course. Trois policiers à vélo se mêlent à la foule ; Tounsi pense que c'est un coup de semonce. Avec Aliot qui surveille, il ne peut y avoir aucun faux pas. La foule déçue commence à s'éloigner.

 

Avec un sourire incrédule – comme s'il se demandait comment tout cela a pu arriver – NasDas se retire dans un café pour diffuser ses réactions. Il ne va nulle part : « J'étais à Saint-Jacques avant les médias sociaux, je suis ici pendant les médias sociaux, et je serai ici après aussi ».

 

Traduction de Philippe Poisse, avec un petit coup de main de Maïté Torres

 

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