"Le refus a toujours constitué un rôle essentiel. Les saints, les ermites, mais aussi les intellectuels, le petit nombre d'hommes qui ont fait l'Histoire sont ceux qui ont dit non, et non les courtisans et les valets des cardinaux."
Pier Paolo Pasolini (La Stampa, 8 novembre 1975)
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Je sais (Perpignan – version élargie)
Libre réécriture inspirée de Pasolini — fiction politique https://lesamisdebartleby.wordpress.com/2022/03/22/pier-paolo-pasolini-je-sais
Je sais.
Je sais que Perpignan est devenue une scène.
Chacun entre, dit sa tirade,
applaudit son propre courage,
et sort par la coulisse des réseaux sociaux.
Je sais les noms de ceux qui gouvernent
et les noms de ceux qui veulent gouverner.
Les uns se drapent d’autorité,
les autres de vertu.
Je sais les noms de ceux qui promettent
une ville plus sûre, plus douce, plus juste,
selon l’endroit du trottoir où ils se trouvent.
Je sais les noms de ceux qui se réclament du peuple
et du peuple ils ne connaissent parfois
que les statistiques.
Je sais les noms de ceux qui s’imaginent rebelles
alors qu’ils apprennent déjà leur protocole.
Je sais aussi les noms de ceux qui ne gouverneront jamais
mais qui continueront à parler
par devoir, par passion, ou par folie.
Je sais.
Je sais les espoirs placés dans un bulletin rose,
vert, rouge ou bleu marine.
Je sais aussi les déceptions muettes
que l’on replie avant de les jeter dans l’urne.
Je sais les noms des élus qui pensent tenir la ville
comme on tient un glaive :
avec force et certitude.
Je sais les noms des opposants
qui pensent qu’il suffit de s’indigner
pour déjà devenir différents.
Je sais les noms de celles et ceux
qui en appellent à la terre,
à l’Europe,
à la République,
à l’insoumission,
à l’écologie,
à la radicalité de l’amour ou de la nation.
Je sais les noms.
Mais je n’ai pas les preuves
que l’un ferait vraiment mieux que l’autre.
Je sais tout cela car je suis un observateur,
un habitant qui lit entre les lignes des discours,
qui entend ce que disent les silences
des marchés du samedi matin,
des terrasses désertes en hiver,
des couloirs d’une mairie où l’on attend
toujours un peu trop longtemps.
Je sais, parce que Perpignan parle.
Elle dit sa colère, sa fierté, son ennui.
Elle dit ses banlieues oubliées,
ses places rénovées,
ses palmiers fatigués de tout voir,
ses cœurs qui ne votent plus,
ou votent encore par dépit.
Je sais,
et si je l’écris,
c’est pour rappeler que la ville n’est pas un trophée,
pas une conquête,
pas un territoire à posséder.
Perpignan appartient à celles et ceux
qui y vivent —
qu’ils gagnent,
qu’ils perdent,
ou qu’ils n’aient jamais été candidats.
Je sais.
Et je continue à regarder.
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