"Cette fois, son regard était au loin, elle m’offrait son profil à contempler, sa peau hâlée d’un grain si pur. La douceur aurait-elle un teint, ce serait le sien ; le mystère aurait-il une lueur, ce serait la sienne. J’en avais les joues moites, les mains froides. Le bonheur battait mes tempes. Dieu, qu’elle était belle, ma première image de l’Orient "
Samarcande
Amin Maalouf
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Dans les vallées ensoleillées des Pyrénées-Orientales, où la langue catalane chante encore dans les ruelles de Perpignan et les villages perchés, une initiative inattendue ravive l’espoir de sa pérennité. Amin Maalouf, écrivain franco-libanais et secrétaire perpétuel de l’Académie française, a apporté un soutien retentissant au Collectif pour les littératures en langues régionales, qui a présenté ce lundi un recueil intitulé Florilangues. Ce corpus, riche de 32 textes issus des langues de France – du créole martiniquais au tahitien, du basque au corse – inclut la langue catalane, dont la présence dans ce projet pourrait marquer un tournant pour son avenir en France.
La langue catalane, parlée dans ce qu’on appelle la Catalogne Nord, n’est pas un simple vestige du passé.
Elle est une voix vivante, portée par des poètes, des chanteurs et des conteurs, qui continue de tisser l’identité d’une région à la croisée des cultures méditerranéennes. Pourtant, son enseignement et sa visibilité dans l’espace public français restent limités, souvent relégués à des initiatives locales ou associatives. Le soutien d’une figure comme Amin Maalouf, dont l’Académie française incarne la défense de la langue française, est un signal fort. Lui, dont les romans explorent les ponts entre les civilisations, voit dans les langues régionales, dont le catalan, des trésors culturels à partager avec tous. « Il est nécessaire que les élèves de France aient connaissance de ces richesses », écrit le collectif dans une lettre adressée au Premier ministre François Bayrou, béarnais de langue, et à la ministre de l’Éducation Elisabeth Borne, proposant d’intégrer ces littératures dans les programmes scolaires.
Florilangues, qui paraîtra en 2026 aux éditions L’Aucèu libre, spécialiste de l’occitan, met le catalan à l’honneur aux côtés d’autres langues.
Ce recueil, pensé pour les collèges et lycées, ne vise pas à enseigner la langue catalane en tant que telle, mais à faire découvrir ses œuvres littéraires, en version bilingue ou traduites en français. Parmi les textes, on pourrait imaginer des extraits de poètes catalans comme Jacint Verdaguer, dont les vers vibrent d’une universalité intemporelle, ou des chansons traditionnelles qui résonnent encore dans les fêtes populaires de Catalogne Nord. « Pourquoi seuls les élèves catalans devraient-ils découvrir leur littérature ? » s’interroge le collectif, porté par une vision universelle. Un lycéen breton, un collégien parisien ou une écolière antillaise pourraient, grâce à ce projet, s’émerveiller devant la musicalité du catalan et la profondeur de son imaginaire.
« Le soutien d’Amin Maalouf est révolutionnaire », a déclaré Michel Feltin-Palas, journaliste et membre du collectif, lors d’une visioconférence.
Cette reconnaissance, venant d’une institution souvent perçue comme gardienne exclusive du français, brise un tabou.
Elle affirme que le catalan, comme les autres langues régionales, n’est pas une menace pour l’unité nationale, mais une richesse à partager. Céline Piot, historienne et membre du collectif, insiste : « Notre démarche s’adresse à tous les élèves de France. Il ne s’agit pas de cloisonner, mais d’ouvrir. » Ainsi, un élève de Marseille pourrait découvrir la légende catalane de Sant Jordi, tout comme un habitant de Perpignan pourrait s’émouvoir devant une chronique en breton ou une poésie en tahitien.
Pour la langue catalane, ce projet est une lueur d’espoir. En France, où elle est parlée par environ 100 000 personnes, selon des estimations, elle souffre d’un manque de visibilité institutionnelle.
L’enseignement bilingue français-catalan existe dans certaines écoles, comme les escoles bressola, mais reste marginal. L’intégration de textes catalans dans un recueil national, soutenu par une figure comme Maalouf, pourrait encourager une reconnaissance plus large, non seulement dans l’éducation, mais aussi dans la sphère culturelle. Ce n’est pas seulement une question de préservation : il s’agit de faire vivre le catalan, de le faire entendre dans sa poésie, sa verve, son humour, au même titre que le français ou toute autre langue.
Comme l’écrivait Amin Maalouf dans ses œuvres, les cultures ne prospèrent pas dans l’isolement, mais dans l’échange. La langue catalane, avec sa douceur méditerranéenne et son héritage millénaire, trouve dans Florilangues une tribune pour dialoguer avec le reste de la France.
Ce recueil, en plaçant le catalan aux côtés du provençal de Mistral, du créole de Raphaël Confiant ou du picard d’Alexandre Desrousseaux, rappelle que la diversité linguistique est une symphonie, et non une cacophonie.
Pour les Catalans de France, et pour tous ceux qui chérissent cette langue, l’engagement de Maalouf est un appel à rêver plus grand : un avenir où le catalan, loin d’être confiné aux marges, brillera comme un joyau au cœur de la mosaïque française.
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Vous pouvez aussi citer la pétition :https://www.mesopinions.com/petition/art-culture/vraie-place-litteratures-langues-regionales-programmes/193595
"Monsieur le Ministre,
Le patrimoine littéraire français ne se limite pas aux productions écrites en langue française. Depuis des siècles, la création poétique, narrative, théâtrale, argumentative en langues dites « régionales » est abondante et éminemment digne d’intérêt.
Or, comme ce fut longtemps le cas de la littérature féminine, tout cet archipel de créations écrites est aujourd’hui largement ignoré par les programmes scolaires de notre pays. Et donc par la majeure partie des Français.
Afin de mettre un terme à cette injustice, nous demandons que ces programmes soient reconsidérés et intègrent officiellement l’enseignement d’œuvres créées par des autrices et auteurs qui, pour être ancrés dans leur culture « régionale », n’en ont pas moins une portée universelle.
La France ne s’émeut guère d’une contradiction profonde entre ses déclarations d’intention et son action réelle. Elle s’enorgueillit de posséder une littérature mondialement reconnue, récompensée cette année encore par un prix Nobel, attribué à une femme. Elle se bat sans relâche, sur la scène internationale, pour que la langue française et sa littérature soient respectées et diffusées. Elle prodigue à tous ses enfants un enseignement qui accorde une place ambitieuse et méritée à nos œuvres littéraires.
Et pourtant, dans ce pays tellement attaché à la culture et aux droits de l’Homme, on peut constater avec effarement que la plupart de nos concitoyens ignorent qu’il existe des milliers d’œuvres littéraires écrites chez nous dans d’autres langues que le français.
S’ils ne le savent point, c’est bien, hélas ! Parce que notre système éducatif ne leur a jamais enseigné cette réalité. Héritier d’une tradition de mépris remontant à l'Ancien Régime puis théorisée sous la Révolution par l’abbé Grégoire, ce système passe volontairement sous silence ces milliers d’œuvres ainsi que ceux qui les ont écrites et les écrivent aujourd’hui encore, malgré les difficultés qu’ils rencontrent.
Les langues « régionales » elles-mêmes, dont l’enseignement demeure soumis au régime de l’incertitude et de la précarité, malgré les rappels à l’ordre répétés des instances culturelles internationales, se voient dédaignées par les autorités de ce pays.
Car le fait qu'au fil des ans, et non sans mal, quelques améliorations aient pu être apportées à leur statut grâce à quelques textes législatifs ou règlementaires n'empêche pas que trop souvent, faute de moyens et de bonne volonté de la part des décideurs de terrain, l'application concrète de ces textes soit fortement entravée. A fortiori, les littératures de ces autrices et auteurs – alsaciens, basques, bretons, catalans, corses, créoles, flamands, occitans, et de toute autre langue de France, y compris bien sûr des outre-mer – sont victimes d’une idéologie étriquée, exclusive et excluante.
Quand on trouve dans les manuels une référence, par exemple à tel ou tel troubadour, cela reste marginal et parfois scientifiquement erroné. Il est grand temps que cette situation évolue.
Au fond, rien n’empêche – si ce n’est certaines volontés politiques influentes et figées – qu’un enseignement portant sur ces œuvres et ces autrices et auteurs soit dispensé aux élèves, au fil des divers cycles, du primaire jusqu’au baccalauréat. Il est parfaitement envisageable de les faire étudier, en traduction française ou, mieux encore, en version bilingue. Contes, poèmes, romans, pièces de théâtre… Peuvent être abordés sous forme d’extraits ou d’œuvres intégrales. Par exemple dans le cadre des progressions pédagogiques de la matière français ou, en lycée, dans celui de l’enseignement de spécialité « humanités, littérature et philosophie », on aborde déjà fréquemment des textes d’auteurs traduits de langues étrangères ou de l’Antiquité : il est parfaitement possible d’y intégrer les textes dont nous parlons, des œuvres de qualité qui pourraient dialoguer avec la littérature européenne écrite dans d'autres langues, dont le français.
On pourrait aussi considérer que les enseignants de chaque région mettent prioritairement l’accent sur des œuvres issues de celle-ci mais, au-delà de ce principe, il serait bon que chaque élève soit sensibilisé à l’existence de cette foisonnante diversité littéraire de notre pays.
Si Annie Ernaux est « notre » nouveau prix Nobel de littérature, Frédéric Mistral, en son temps, le fut aussi. Il écrivait en provençal, et de cela la quasi-totalité des Français n’a strictement aucune connaissance. Œuvrons pour mettre un terme à cette aberration. Agissons au bénéfice de tous, à commencer par notre jeunesse : l'ouverture des programmes sur notre diversité interne est un premier pas vers un nouvel humanisme ouvert à l’Autre."
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