/image%2F0934504%2F20250614%2Fob_6486b2_screenshot-2025-06-14-at-09-42-10-grok.png)
« L’homme commence à être intéressant quand il cesse de croire à la politique. »* — Cioran
À Perpignan, ville lasse, fatiguée, presque résignée, la présidente socialiste de la région Occitanie, Carole Delga, est venue, souriante et bien coiffée, saluer la réussite. Elle n’a pas choisi l’hôpital, ce sanctuaire d’épuisement où l’on administre la lente agonie des institutions publiques, mais l’école 42, temple immaculé de l’innovation numérique et de l’autosatisfaction régionale. Ce 13 juin 2025, elle marchait aux côtés d’Agnès Langevine, son bras électoral droit, avec la sérénité de ceux qui savent exactement ce qu’ils veulent éviter.
L’école 42. Quelle belle histoire à raconter. Gratuite, sélective sans diplôme, 100 % d’employabilité, et surtout, parfaitement inoffensive. Ici, pas de cris de patients, pas de brancards qui manquent, pas de médecins à bout de souffle. Rien qu’un avenir bien emballé dans du langage managérial. Une visite utile : elle coïncide avec les ambitions municipales de Mme Langevine, qui rêve d’arracher la mairie à Louis Aliot. À l’école 42, les deux femmes parlent de logement, d’alimentation, et d’autres doléances domestiquées, polies, digestes. L’indigence quotidienne se doit désormais d’être « innovante » pour mériter attention.
> *« L'art de gouverner consiste à ne jamais se laisser émouvoir par les malheurs qu'on cause. »* — Cioran
Mais pendant ce temps, à l’hôpital de Perpignan, c’est toujours la même trame : les urgences asphyxiées, le personnel lessivé, les cris étouffés par les murs. On y manque de tout, sauf de résignation. La visite aurait été risquée : rien n’y flatte l’œil ni le récit. Là-bas, la région n’a que peu de prérogatives, donc encore moins de responsabilités à assumer. Quelle absurdité, après tout, d’aller là où l’on ne peut que compatir ! Mieux vaut saluer le triomphe de la logique comptable que se frotter à la misère inaltérable.
Il faut dire qu’à Perpignan, tout est matière à catastrophe : chômage, désert médical, climat politique délétère. Le réel y est une forme d’injure. Pourquoi s’y confronter ? Mieux vaut créer une autre réalité, plus propre, plus photogénique. Ce que Carole Delga a fait. Avec méthode. Avec talent.
> *« On ne redresse pas un cadavre ; on le maquille. »* — Cioran
Cette stratégie est imparable : détourner les yeux, choisir ses batailles, éviter les zones grises. À la violence de l’hôpital, Delga oppose la clarté rassurante de l’école 42. À la complexité, la simplicité. À l’échec, la success story. C’est là toute la magie du politique moderne : ne plus réparer le monde, mais le réécrire.
Mais à force de vouloir incarner la solution, on finit par devenir le symptôme. Car pendant que Delga se félicite, Perpignan se fissure. Et les Perpignanais, eux, voient bien que la vitrine est propre uniquement parce qu’on a jeté la poussière sous le tapis. Ils sont 42 % à ne pas être fiers de vivre ici. Pas étonnant : les promesses sont numériques, leurs douleurs biologiques.
« Ce que nous appelons politique n'est que l’art d’agiter le peuple avant de s’en servir. »* — Cioran
La visite de l’école 42 n’est pas une faute ; elle est pire : un aveu. L’aveu que le désespoir ne vaut plus qu’on s’y attarde, qu’il est désormais obsolète, improductif. Qu’il faut donc le contourner, le décorer, ou l’ignorer.
À Perpignan, la politique ne soigne plus. Elle administre des images. Et chaque sourire de campagne est une grimace de plus dans cette farce lugubre où l’on continue, malgré tout, à parler de « projets d’avenir ».
commenter cet article …