En 2015, un cycle de manifestations a été organisé en Catalogne, en particulier à Barcelone, afin de commémorer les 600 ans de l’arrivée du peuple gitan en Europe. La date du 26 novembre y tenait une place particulière car elle fait référence à un document daté du 26 novembre 1415, signé à Perpignan (appartenant alors à la couronne d’Aragon) par le roi Alphonse V, autorisant un certain « Tomàs, fill del duc Bartomeu de Sabba, de l’Índia Major d’Etiòpia » à voyager et visiter la tombe de l’apôtre Saint Jacques à Compostelle.
Si les historiens remettent en question la réalité des origines gitanes (d’Inde) de ce Tomàs de Sabba, il n’en demeure pas moins que le peuple gitan lui-même célèbre cette date comme l’un des jalons marquants de son histoire.
C’est donc dans le prolongement de ces commémorations initiées l’an passé que veut se placer cette journée de rencontre sur la diaspora, la langue et la musique gitanes, qui trouve en outre, à Perpignan, une résonnance toute particulière.
En effet, un travail remarquable de préservation et de valorisation est accompli depuis plusieurs années à Perpignan par la Casa Musicale en faveur de la Rumba Catalane, cette musique vivante, dynamique, aux racines populaires et urbaines qui a émergé en Catalogne au milieu du XXè siècle, mais est le résultat d’un processus continu de croisement et d’appropriation de diverses traditions musicales par les gitans qui la jouent.
L’enjeu est de faire inscrire la Rumba catalane sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, et par là-même de contribuer à modifier les représentations négatives et folklorisantes dont peuvent souffrir cette musique et par extension la culture gitane.
Dans le cadre de ce projet, un cycle de conférences a été initié, de part et d’autre des Pyrénées, au début de l’année 2016.
Ce « grand rendez-vous de la médiathèque » en présence de Bernard Leblon, Eugeni Casanova et Jean-Paul Escudero s’inscrit dans ce cycle de conférences et sera filmée afin de venir étayer la constitution du dossier de candidature pour l’UNESCO.
Des gitans à Perpignan en 1415 ? - Bernard Leblon
En guise d’introduction à cette journée, Bernard Leblon, professeur émérite de l'Université de Perpignan, historien, musicologue, linguiste et auteur d'ouvrages de référence sur l'histoire et la musique des Gitans d'Espagne, propose de se pencher sur le sauf-conduit d’Alphonse d’Aragon et d’en actualiser l’analyse en livrant les arguments qui l’inclinent à penser que le pèlerin concerné n’était pas gitan…
La découverte d’une population « perpignanaise » ignorée : les gitans catalans de France - Eugeni Casanova
Il existe en France une communauté composée de dizaines de milliers de personnes qui parlent catalan et se définissent elles-mêmes comme « gitans catalans », communauté qui est restée ignorée pendant des siècles.
A l’origine cette communauté était installée en Catalogne sud, et notamment en Empordà. Les gitans commencent à s’établir en Roussillon au XVIIIè siècle grâce à une loi du roi d’Espagne Charles II les autorisant à voyager, après des siècles d’interdiction. Ils vont suivre deux grands axes migratoires, le long de la côte méditerranéenne et le long de la Garonne.
Leurs descendants continuent de considérer Perpignan comme une ville de référence.
Aujourd’hui, une douzaine de noms de famille tels que Baptiste, Patrac, Ferrer, Pubill, Cargol ou Maille se retrouvent de Bordeaux à Nice et de Saint-Gaudens à Douai au sein de communautés – Eugeni Casanova en a référencé 160 – qui ont majoritairement conservé la langue et les coutumes des gitans de Perpignan.
Eugeni Casanova, diplômé en Sciences de l’Information et en Philosophie, docteur en Langue et Littérature Catalanes, est professeur de Communication à l’Université de Lleida. Il a publié une vingtaine de livres de recherche journalistique, ethnographique, linguistique, nature et voyage. Sa thèse, « Identificació i localització de les poblacions de gitanos catalans a França, llengua, cultura i itineraris migratoris » est accessible dans son intégralité en ligne :http://www.tdx.cat/handle/10803/285611
Regard sur la musique et la langue des Gitans: à la recherche de l'essentiel dans l'éphémère - Jean-Paul Escudero
D'un pays à l'autre, d'une histoire à l'autre, d'une langue à l'autre, à travers la misère et le racisme quotidien, l'extraordinaire capacité d'adaptation des hommes voyageurs et de leurs descendants, souvent devenus sédentaires, semble défier le temps. Au-delà de toutes les divisions géographiques communément admises chez les Tsiganes, nous retrouvons une même dynamique d'imprégnation, adaptation-transformation de musiques nées à l'extérieur de la communauté, quelle que soit leur origine. De par sa condition de minorité culturelle, le peuple gitan a développé ce savoir-faire très particulier - que l'on retrouve également dans les différentes langues parlées - dont on peut dire qu'il fait partie intégrante de son identité.
Jean Paul Escudero est linguiste et musicien. Il a enseigné à l’Université Via Domitia de Perpignan où il a soutenu sa thèse de doctorat en Lettres, « Contribution à l'étude de la langue des gitans de Perpignan ». En 2004, il a publié « Les gitans catalans et leur langue : une étude réalisée à Perpignan », aux éditions de la Tour Gile.
Conclusion en rumba avec Antoine Tato Garcia
Guitariste, chanteur, auteur, compositeur, interprète, Antoine « Tato » Garcia apprend la guitare dès l’âge de 7 ans au côté de son frère José et des grands musiciens gitans de Perpignan. La musique est omniprésente dans la communauté gitane et intimement liée aux évènements traditionnels de la vie : fiançailles, mariage, baptême...
Il devient dès lors un fervent ambassadeur de la rumba catalane, musique née dans les années 60 dans les quartiers gitans de Barcelone, où le flamenco s’est nourrit d’échanges avec le son cubain.
La notoriété d’Antoine « Tato » Garcia dépasse très vite les frontières de la Catalogne.
Il travaillera sur de nombreux projets et sillonnera le monde avec la Familia Valera Miranda, Kaloomé, Agnès Jaoui, les Rumberos Catalans, Tékaméli ou encore la fanfare Ciocarlia.
Il décide de transmettre sa passion en enregistrant en DVD la première méthode pédagogique d’apprentissage de la guitare rumba catalane intitulée « El ventilador ».
Hervé Parent un des fondateurs du projet nous fait la bande annonce