"Regardez ce type à côté de vous ! Regardez-le dans les yeux ! Vous verrez un type qui foncera avec vous. Vous verrez un type qui se sacrifiera pour l'équipe parce qu'il sait que le moment venu, vous en ferez autant pour lui... C'est ça une équipe messieurs. Soit nous guérissons, maintenant, en équipe... Soit nous mourrons, en individus. C'est ça le football, les gars. Rien de plus. Eh bien, qu'allez-vous faire ?"
L'enfer du dimanche Oliver Stone
**Indignez-vous ! Quand les "Catalans qui gagnent" dansent sur l’aiguille de la République en chute**
En feuilletant le supplément de *L’Indépendant* consacré aux "Catalans qui gagnent", une étrange sensation m’a envahi. Comme un écho lointain de la question byzantine : *"Combien d’anges peuvent danser sur la pointe d’une aiguille ?"*. Une interrogation à la fois vaine et fascinante, posée alors que l’Empire de Constantinople s’effondrait autour de ses penseurs. Cette célébration des gagnants, dans une France plongée dans la confusion politique et institutionnelle, résonne de manière tragiquement décalée. La Cinquième République, ébranlée par la dissolution de l’Assemblée et l’incapacité d’unir ses forces vives, semble glisser doucement vers une forme de "démocratie spectacle", où le récit du succès individuel masque la faillite collective.
### Les "gagnants" face à la débâcle
L’éloge des "Catalans qui gagnent" est un bel exercice, une respiration dans une actualité lourde. Ces entrepreneurs audacieux, ces héros locaux, ces jeunes courageux, nous rappellent que dans les marges de la République, une vitalité persiste. Pourtant, en le lisant, je ne pouvais m’empêcher de penser au contraste criant avec l’état de nos institutions. Comme si, au milieu d’un naufrage, nous choisissions de raconter les exploits des meilleurs rameurs, oubliant que le navire lui-même est en train de sombrer.
Le président, en déplacement à l’étranger, semble se désintéresser de l’implosion de l’Assemblée qu’il avait lui-même dissoute. Un gouvernement fragilisé s’accroche à un 49.3 contesté pour faire passer un budget, tandis que l’opposition, hétéroclite et désorganisée, rêve d’une censure qui ne déboucherait que sur davantage de chaos. La République vacille, et pendant ce temps, nous comptons les anges sur la pointe de l’aiguille.
### Une démocratie en mise en abîme
Cette célébration des gagnants devient alors une mise en abîme saisissante. Elle reflète une République où le collectif s’efface derrière des récits individuels. Les "Catalans qui gagnent" sont les anges lumineux de cette nouvelle époque, dansant au sommet d’une démocratie réduite à une coquille vide. Ces récits inspirants, ces succès mérités ne sont-ils pas aussi une distraction ? Un moyen d’éviter la question plus pressante : *que reste-t-il de notre contrat social ?*
Le paradoxe est cruel. Tandis que l’on glorifie des individus qui triomphent par leur courage, leur créativité ou leur abnégation, la structure même qui devrait permettre à tous de prospérer – l’État républicain – s’effondre lentement sous le poids de ses contradictions.
### L’aiguille vacille
La question "Combien d’anges peuvent danser sur la pointe d’une aiguille ?" illustre l’absurdité d’une réflexion détachée du réel, alors que tout autour, l’urgence gronde. Aujourd’hui, cette aiguille pourrait symboliser la République elle-même, fragile, précaire, prête à céder sous le poids des attentes et des déceptions.
Les gagnants dansent, mais l’aiguille vacille. Pendant ce temps, les "perdants" – les invisibles, les précaires, les résignés – regardent, impuissants. Ils ne sont ni dans les pages des journaux, ni dans les hautes sphères de pouvoir. Ils survivent à peine, invisibles dans ce grand ballet où seuls les anges triomphent.
### Une danse en marge de l’essentiel
La célébration des "Catalans qui gagnent" est-elle vaine ? Non, car ces récits inspirent, ils donnent à rêver. Mais elle devient problématique lorsqu’elle détourne le regard des structures brisées, lorsqu’elle remplace l’indispensable réforme par une flatterie superficielle de l’excellence individuelle.
Au lieu de se demander "qui gagne ?", ne devrions-nous pas nous interroger sur le sens même de cette victoire dans un pays qui s’effrite ? Que vaut le succès d’un individu lorsque le collectif s’écroule ? La pointe de l’aiguille ne peut soutenir infiniment les anges, pas plus qu’une démocratie ne peut subsister sans un effort commun pour la préserver.
### Indignez-vous, une fois encore
Il est temps de cesser de compter les anges et de regarder l’aiguille elle-même. La République n’a pas besoin de gagnants isolés, mais de citoyens solidaires. Elle n’a pas besoin de danses brillantes, mais de bases solides. Comme le disait Stéphane Hessel, l’indignation est une étincelle. Indignons-nous de cette danse inutile, de ce spectacle qui masque l’essentiel. Puis, transformons cette indignation en action.
Car si la Cinquième République est à genoux, c’est à nous, citoyens, de la relever. Ensemble. Quittons la pointe de l’aiguille et redescendons sur la terre ferme, là où se joue l’avenir.
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