À Perpignan, on a de la chance. Beaucoup de chance même. On a « El Lider Minimo », et c’est pas peu de chose.
El Minimo est le plus grand spécialiste vivant de François Ruffin. C’est un sage parmi les sages.
Alors, quand François Ruffin sort un nouveau livre, et que la vindicte populaire locale veut, allez savoir pourquoi, une recension, l’idée de base c’est d’aller voir El Minimo.
Donc, je suis allé le voir.
Interrogé sur le sujet, il m’a déclaré « à Perpignan, les militants FI c’est tous des nostalgiques du GUD ! ». Puis il a rajouté : « je vais te mettre mon poing dans la gueule ! ». Et a fini par un « heuuuuu, veux du vin ! ».
Il était seulement 10 h du mat’, les librairies ouvraient. Pas d’autre choix que d’acheter le livre. Et, horreur, de le lire.
Parce que moi, je suis les préceptes d’André Bonnet : « les livres c’est pas fait pour lire. Les livres c’est fait pour décorer la bibliothèque utilisée en arrière-plan lors des réunions Zoom. »
François Ruffin, comme très peu d’autres, s’est clairement aperçu de la victoire idéologique du RN. Clairement, même si aucune référence à Antonio Gramsci n’est faite, il se désole de l’hégémonie culturelle dont jouit l’extrême droite actuelle.
Pour parler de cette hégémonie culturelle, François Ruffin axe sa réflexion sur le travail, et comment la social-démocratie ainsi que, plus récemment, le social-libéralisme le pressurise depuis le début de la Révolution Néoconservatrice de la fin des années 70.
Et le constat est accablant.
« Or, notre souci, aujourd’hui, c’est que ce « bloc historique » est traversé d’un double divorce : l’un, entre classes intermédiaires et classes populaires. L’autre, interne aux classes populaires, entre enfants d’immigrés dans les quartiers et « blancs » des Frances périphériques. Sans rassembler tout ça, c’est pas la joie…
[…]Alors, comment espère-t-on être majoritaire demain sans cette majorité ? Sans « contrer le Rassemblement national », sans contester son hégémonie, sans devenir, redevenir, à sa place, « le parti des classes populaires », de toutes les classes populaires, et pas d’une moitié seulement ? »
Extrait pages 27 et 28
Ce « bloc historique » c’est l’union des « intellectuels » et des « prolétaires ». En clair, des CSP+ et des classes populaires. Et la cassure est violente et ancienne, comme le montre François Ruffin.
Les CSP+, diplômées et urbaines, ont abandonné les populations les plus pauvres, se repliant sur elles-mêmes et défendant des sujets sociétaux n’intéressant que des niches de plus en plus limitées.
Comme le rappelle si bien François Ruffin, en 1984 lorsque le PS aide à la création de SOS-Racisme, celui-ci, en 3 ans, a déjà mis fin à « l’échelle mobile » qui permettait d’indexer les salaires sur l’inflation (1982) et le « tournant de la rigueur » a déjà eu lieu (1983). « La gauche crée toutes les conditions […] pour que l’extrême droite prospère… mais ripoline ça d’une dose de morale », écrit François Ruffin.
Et la conséquence est assez simple, et mortifère : la gauche verse des allocations de misère aux plus pauvres, dont le nombre ne cesse d’augmenter, laissant le champ libre à l’extrême droite pour diviser les plus pauvres et bâtir sur cette division son arrivée au pouvoir.
Pour une bonne partie des plus pauvres, la gauche défend les « cas soc’ », alors que l’extrême droite défend le travail et les travailleurs.
Si vous voulez une description, clinique et sociologique, de comment la gauche, en détruisant le travail en France, au nom de l’idéologie néolibérale, de la mondialisation, et, de la défense des intérêts du Capital, a, par contre coup, créé ces fameux « cas soc’ », moteur du vote RN, il suffit de lire l’excellent livre de Serge Ebersold « La naissance de l’inemployable ».
Le reste du livre est une description du monde du travail, pressuré et avili par la mondialisation et le néolibéralisme. Et c’est pas beau à voir.
40 ans de destruction du monde du travail passés à la moulinette en quelques dizaines de pages, avec de nombreuses références aux actions des divers gouvernements de gauche s’étant succédé entre 1981 et 2017.
Pour conclure, François Ruffin propose un projet pour lutter contre l’extrême droite : le « faire-ensemble ».
Son idée est de sortir des niaiseries du vivre-ensemble et de proposer un nouvel horizon. Pour cela il se base sur l’analyse d’Alain Supiot : « Les sociétés humaines ne sont pas des troupeaux. Elles ont besoin pour se former et subsister d’un horizon commun. Un horizon, c’est-à-dire à la fois une limite et la marque d’un au-delà, d’un devoir-être qui arrache leurs membres au solipsisme et à l’autoréférence à leur être. »
S’appuyant sur le modèle de Roosevelt en 1941, François Ruffin propose de passer à une « économie de guerre écologique », permettant de sortir tout à la fois de la crise économique, sociale et environnementale que connaît la France depuis des décennies.
Alors, dans le fond que penser de ce livre ?
Écrit en seulement deux semaines, en juillet 2022, ce livre est forcément court et un peu brouillon. Il reste toutefois un sacré coup de poing dans la gueule à toute forme de gauche bobo et/ou urbaine. Les travailleurs ont été relégués aux périphéries des grandes agglomérations, paupérisés et humiliés pendant que la gauche urbaine, éduquée et autocentrée, se vautrait dans la métropolisation, que dénonce si bien Guillaume Faburel dans « Les métropoles barbares ». Maintenant la gauche voit l’extrême droite aux portes du pouvoir, grâce au vote des classes populaires. L’histoire de l’arroseur arrosé.
Le travail de reconquête va être long, surtout pour une gauche, globalement, incapable d’une quelconque pensée réflexive. Les réactions de certaines figures de la FI à la sortie de ce livre le montrent, tout le monde n’est pas prêt pour le changement des discours et des pratiques.
Si ce changement n’a pas lieu, le RN continuera d’engranger des victoires électorales et d’imposer ses idées.
La gauche est prévenue, à elle de savoir ce qu’elle veut !
La méthode de François Ruffin pour lutter contre l’extrême droite :
https://www.youtube.com/watch?v=YBxlj7cLoDE
Voir aussi:
Perpignan/ municipales 2020:pour Gérard Filoche, ''la gauche ne doit pas sonner la retraite au deuxième tour!" interview par Nicolas Caudeville
Les chroniques du chaos: http://l-archipel-contre-attaque.over-blog.fr/tag/chronique%20du%20chaos/
Et aussi, la série en exclusivité de Jordi Vidal, " La société du chaos"
http://l-archipel-contre-attaque.over-blog.fr/tag/la%20societe%20du%20chaos/