Je suis toujours étonné lorsque la machine distributrice de billets devant laquelle je me trouve, après quelques manœuvres de ma part, faites du bout des doigts, et des ronronnements et clignotements de son côté, accepte de me délivrer des billets, souvent neufs, qui glissent avec un bruit soyeux et quelquefois légèrement craquant d’une fente dans laquelle je n’ai plus qu’à les saisir. Je les empoigne, les fourre dans ma poche comme une récolte délictueuse et file ne voulant pas en savoir plus : tout de même, fais-je, après avoir passé le coin de la rue, je me demande si ces machines réfléchissent bien, si tu étais un distributeur de billets, me dis-je à chaque fois, t’accorderais-tu de l’argent ? Dois-je le ramener ? Il va lui manquer. Cette machine est trop bonne, elle ne sait pas à qui elle a affaire, on va lui taper sur les doigts.
Dans la majorité des cas, il est vrai, l’écran se remplit plutôt d’une observation, logique quant à elle :
Vos droits sont épuisés.
Cela me réconcilie avec elle.
Voilà une machine qui prend le temps de réfléchir, qui sait que les droits d’un homme sont épuisés, dès sa naissance le plus souvent. Voilà ce que j’appelle de l’humanité. Cet assemblage de microprocesseurs est en marche vers son statut d’humanoïde. Il lui manque si peu pour devenir l’homme du futur.
Il lui reste, simplement un langage à acquérir, un langage humain :
Le jour où elle dira au gars planté devant elle : Casse-toi, pauvre con ! J’en ai marre de voir ta gueule de perdant devant mon écran. Tu n’auras plus jamais un sou. Tu t’es vu quand tu réclames de l’argent ? Tu te rends compte de ton ridicule. Allez dégage !
Ce jour-là, elle sera apte à nous remplacer.
Et le monde n’aura plus jamais besoin de nous.
Le tout meilleur d'Henri Lhéritier :
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