« C’est un chevalier du prolétariat ». C’est Jo le moustachu qui avait dit ça de moi et c’est tout moi ! Jo, ce qui a de bien avec lui, c’est qu’il avait le sens de la formule et que c’était un fin psychologue, un grand connaisseur de l’humain…
Avant de commencer ma chronique petit Frantsouz, je tenais à te faire part de mes très sincères condoléances pour les événements qui se sont déroulés chez toi, l’assassinat des caricaturistes et des policiers. Je l’écrivais dans une de mes précédentes chroniques, mais je crois que pour traiter ce genre de problèmes, il ne faut pas lésiner sur la manière forte. Il vous faudrait un Ramzan Kadyrov ou beaucoup mieux, un Blondin ! Heureusement que ces événements ne se sont pas déroulés chez nous, votre presse vendue aux plus offrants, aurait aussitôt accusé Blondin d’avoir éliminé les irrévérencieux caricaturistes… Bon, il y a eu des types pris en otage, nous en Russie, on ne s’embarrasse pas pour si peu, le collectif doit primer, on bombarde et on ramasse à la petite cuillère ou on gaze comme en 2002 au théâtre de la Doubrovka… Nous, cela fait 20 ans, depuis la première guerre de Tchétchénie, que nous sommes confrontés au terrorisme et nous appliquons un adage bien Frantsouz, « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! ». Faut croire que vous avez molli ou que vous êtes devenus bien naïfs vis-à-vis de ces gens-là… Faut te viriliser. Seulement, chez toi, il y en aura toujours qui diront que les mesures prises constituent une atteinte à la liberté… Je me souviens de ta presse aux temps où nous guerroyions en Tchétchénie, qui ne cessait de dénoncer les atrocités commises (désolé mais cela me semble consubstantiel d’une guerre) par les forces russes, oubliant au passage les soldats égorgés comme des moutons par les barbus.
Bon je reprends la balade, histoire de te sortir de ton quotidien morose (prends exemple sur les Russes, ils boivent le bouillon avec leur monnaie qui fait plouf et les sanctions et la baisse du prix du pétrole, mais ils restent stoïques, grands seigneurs !, c’est tout nous, ça !) je t’avais laissé au musée des forces armées où j’avais été me laver la tête de tout ce caca qu’est l’art contemporain, tu te souviens, allez continuons la balade et mon lavage de tête, direction la rue Ostojenka, il y a, paraît-il, une chouette exposition photo à la Maison de la Photographie. La rue Ostojenka est parallèle à la Pretchistenka. Ces deux rues, si tu es amateur d’architecture, faut que tu y passes, tu as de tout, du néo-classique, de l’art-nouveau et un peu de soviétique. Moscou est comme ça, elle s’apprécie pour qui sait prendre le temps de regarder, faut la désirer, c’est comme une jolie femme avec un sacré caractère. Allez, je rentre dans l’expo, c’est une expo consacrée à Arkady Shaykhet. Tu connais pas ? Bon, tu connais Rodtchenko ? Oui, j’espère et ben Arkady, il est presque aussi grand que Rodtchenko mais moins connu, c’est tout. Il a réalisé pas mal de clichés sur la construction de l’URSS, notre beau pays éternel (des aciéries, construction de canal en Asie centrale, séance de sport, gardes-frontières…), le tout avec un regard constructiviste, jouant sur les lignes et les contre-plongées. Il a aussi été reporter de guerre.
Je suis un homme de culture, curieux et comme je suis curieux, je me suis dernièrement glissé subrepticement au Théâtre des Nations pour aller voir une pièce que j’adore, Ubu roi, d’Alfred Jarry. Joliment troussée cette pièce sur la tyrannie. Eh oui, qu’est-ce que tu croies, je suis ouvert, moi. Ben oui, parce que d’aucuns me disent que cette tyrannie, évoquée dans Ubu roi, c’est l’Union Soviétique ou la Russie d’aujourd’hui, ce à quoi je réponds à ses contempteurs, regardez en quelle année la pièce a été écrite, 1896 !!! Pour moi, vu les traits de caractère du père et de la mère Ubu, ils incarnent la bourgeoisie, les accapareurs, les parasites… Récemment, j’ai lu dans votre journal « Le Monde », que comme l’agence ITAR TASS reprenait son nom soviétique de TASS ou que Blondin avait fait rebaptiser un bataillon de notre cher Ministère de l’Intérieur avec mon joli nom, que le pays revenait à l’URSS, se (re)fermait. Mais virez-moi ces correspondants permanents, qui bien que vivant dans et sur le pays, car ils sont grassement payés, ne comprennent rien à rien et sont restés congelés à l’époque brejnévienne (en fait, c’est sous son règne que le pays a commencer à déconner…). Franchement, tu mets le nez dehors et tu ne reconnais plus mon défunt pays. L’URSS est morte, vive l’URSS ! Blondin, il fait tout ça parce que c’est du cosmétique, pour que des journalistes peccamineux tombent dans le panneau et en plus, comme tes politiques et tes diplomates sont paresseux et mal entourés et pas assez affamés, ils ne lisent que ça et se font une drôlement pas bonne idée du pays.
Allez, je reprends ma balade, je baguenaude, je vais du côté d’un petit marché parce que tu vois, je suis homme de culture mais j’aime côtoyer les humbles, les gueux, les nouveaux prolétaires, mes frères et puis surtout je mange. Ce marché est près de la station de métro Soukharevskaya, les vendeurs sont ouzbeks, azerbaïdjanais, géorgiens… Les fruits et les légumes viennent de ces contrées. Tu sais, je t’en ai parlé dans ma première chronique, ces sans-grades qui font tourner le pays, qui jadis étaient ici chez eux et qui aujourd’hui sont traités comme des laquais. Brrr, depuis que je connais Nicolas, il n’arrête pas de me faire trimer comme un Tadjik, faut qu’il se méfie, cet exploiteur. Bon, je reprends, j’achète quelques fruits (ces mandarines abkhazes sont gorgées de soleil, ces raisins ouzbeks pleins de sucre…) et légumes chez des Ouzbeks où j’ai mes habitudes, il est 11h00 et voilà t’y pas que le mec m’annonce qu’il est grand-père pour la 4ème fois. Qu’est-ce que ça peut se reproduire ces bêtes-là, faut-il qu’ils y croient à leur avenir radieux… Il veut fêter ça et il invite plein de gens, des copains à lui du marché, à nous rejoindre dans sa guitoune et voilà qu’il te sort vodka, plov, légumes marinés et tout ce qui fait une table de fête chez nous, comme ça, improvisé. Zut, je suis à jeun, et il faut prendre deux, trois, quatre verres de vodka à 11h00. Ben ouais, le type est sympa et moi, je suis paf, le girafe comme le chantait les Bérus (moi, j’aime la bonne musique). Tu vois, petit Frantsouz, c’est ça la Russie, tu auras toujours l’occasion de vivre de tels moments, de la vraie chaleur humaine en toute simplicité, tu trouveras toujours des types sympas, mais bon, je te rassure, il y a les autres… Et parfois, en fonction de la besogne, tu as plutôt besoin de ceux-là, mais en fait, ils sont toujours sympas, ils ont bon fond, faut passer la première couche.
Allez, je vais faire un tour au monastère de Novodievitchi. Ne crois pas que je me sois laissé séduire par l’obscurantisme, mais j’aime assez le lieu, fondé au 16ème siècle pour commémorer la prise de Smolensk et qui servait de place forte dans le Sud de Moscou. Je ne suis pas du genre à me laisser aller à la religion, pas comme Blondin, qui en fait des tonnes, la sainte alliance du sabre et du goupillon. C’est sûr, le populo, tout déboussolé qu’il a été après nous avoir eu sur le dos pendant près de 75 ans, il lui faut quelque chose à quoi se raccrocher même si le Métropolite est un ancien de ma noble maison, le KGB, c’est pas grave. C’est ce qui prouve que nous sommes forts et que nous sommes l’âme et la colonne vertébrale de ce pays.
Ah et puis, j’ai pris quelques jours de vacances. Ben oui, d’une part, mon métier de Tchékiste me dévore mais c’est normal, tu ne peux pas faire ce métier sans deux passions, celle de la mère-patrie et celle de l’amour du travail bien fait (surtout). Et puis, il y a ces chroniques pour cet exploiteur de Nicolas. Un jour, je vais l’envoyer à Magadan, poser des rails par – 40° et il en reviendra transformé. Non, je plaisante, je préfère le laisser pour l’instant à Perpignan, qu’il continue à poursuivre son œuvre sanitaire d’édification des masses, elles en ont besoin. Donc, je te disais que j’avais pris quelques jours pour me reposer. Je suis allé rendre visite à mon ami Nicolas, qui est un peu mon agent sur place, une sorte d’illégal, tu te souviens comme l’affaire Chapman en 2010, cette rousse russe donzelle qui appartenait à nos vénérés et vénérables services et qui travaillait aux Etats-Unis, sous une fausse identité, avec 10 autres de ses congénères, belle opération et crois, il y en a d’autres et même chez toi, petit Frantsouz. J’ai donc visité votre bonne ville de Perpignan, non sans avoir fait un détour par la vraie Catalogne, de l’autre côté des Pyrénées. C’est drôle, jadis Barcelone c’était l’insoumise, la ville de Durutti, c’est fou comme l’argent corrompt, gangrène et pourrit tout, uniformément. Mon pays en fournit un bel exemple aujourd’hui, du règne de cet hyper-capitalisme que rien ni personne ne semble capable d’arrêter. En parlant d’hyper-capitalisme, votre ville de Perpignan est stupéfiante, bonjour le Tiers-Monde. Pour le coup, le quartier populaire est vraiment populaire. Mais comment font les masses pour supporter cela, sans révolte, sans même une jacquerie ? Franchement, je me serais cru dans un quelconque de ces pays d’Amérique du Sud, que tu aimes bien visité en bon touriste bien globalisé, petit Frantsouz. C’est quand même la misère. Comment un grand pays ou alors un pays qui s’est cru grand a-t-il pu en arriver là ? Je n’ai pas la réponse mais toi qui y vis, tu pourras probablement me la donner. Heureusement, j’ai vite retrouvé mon Moscou enneigé et j’ai chaussé mes skis de fond au parc Sokolniki. La ville n’a pas trop changé mais les trottoirs sont sévèrement verglacés, faute d’Ouzbeks pour les déblayer. Et ils sont où, nos Ouzbeks ? Ben, il paraît qu’avec la nécessité pour séjourner en Russie d’être doter d’une passeport international et non plus d’un passeport intérieur comme avant, ça date de l’URSS ce truc, ben nos Oouzbeks ont commencé à regagner leurs pénates. Il me revient également que dans le contexte actuel de crise économique, que vos sanctions n’ont fait qu’accélérer, il y aurait une préférence nationale pour les emplois… Cela doit te rappeler des choses, ça… Mais bon, j’ai pas vu une seul Russe déblayer… Faut comprendre notre mentalité et pour cela, rien de mieux que la littérature et je te conseille de lire « Oblomov » de Gontcharov et tu découvriras que le Russe peut être très volontariste et/ou velléitaire, un peu comme une moule.
Je suis déçu, en lisant la presse, d’apprendre qu’il y a une rumeur qui dirait que Blondin ne serait pas invité pour la commémoration de la libération d’Auschwitz à cause de cette affaire ukrainienne. Tu auras tout le monde, y compris les Ukrainiens, probablement quelques baltes (des enfants de la baltes…) mais pas Blondin. Là, je m’insurge, Auschwitz, c’est nous qui l’avons libéré !!! L’oublie pas !!! Et quand j’entends le Premier ministre ukrainien, Yatseniouk expliquer à la mère Angela que l’Ukraine, à l’instar de l’Allemagne a subi l’occupation russe, là ça m’énerve. Parce que cete face de merlan oublie un peu qu’il y avait bon nombre d’auxiliaires dynamiques ukrainiens et baltes aux côtés des Einzatsgruppen. Tu te souviens de ces mecs ? La Shoah par balle, justement avant les camps d’extermination, ça te parle ? 33 000 juif assassinés par balle à Kiev, à Babi-Yar, qui est aujourd’hui à la fin d’une ligne de métro à Kiev. Je peux te dire que quand tu demandes à un Kieviens où se trouve Babi-Yar, soit il ne sait pas et il ment, soit il est gêné, soit il passe son chemin sans te répondre. Ben ouais, petit Frantsouz, tu le vois, nous n’avons pas la même histoire entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale. Il ne s’y est pas passé les mêmes choses, mais il ne faut surtout pas que tu oublies que ta liberté d’aujourd’hui, ben tu la dois un peu-beaucoup à Ivan, ingrat !
Voir aussi!
Chronique moscovite (épisode 7) : A la guerre, comme à la guerre! par Félix Edmundovitch Dzerjinski
Les chroniques moscovites:
http://l.archipel.contre-attaque.over-blog.fr/tag/chroniques%20moscovites/
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